samedi 29 septembre 2007

Variabilité du sens des mots : fluctuations , vicissitudes . Le mot et l' idée : élocution et style .

On appelle élocution et style , la manière personnelle dont chacun exprime sa pensée par le langage .

Les mots sont porteurs d'un sens déterminé , souvent invariable .
Le langage est le signe et non le véhicule de la pensée ; autrement dit, le mot renferme l'idée, non par sa vertu propre, comme l'enveloppe , la pelure recouvre le fruit, mais par la suite d'une convention et à cause du sens que le commun des hommes y a attaché . Quand nous prononçons ces deux syllabes : cristal, ou ces deux autres : hêtre , c'est l'usage qui me fait voir dans le premier groupe de la matière minérale, et dans le second, de la matière vivante végétale .

En dehors de leur signification commune et nettement déterminée, les mots ont une signification particulière , non indiquée dans le dictionnaire , et dépendante des divers esprits . Chacun de nous emplit d'idées ou de sensations spéciales les expressions dont il se sert .
Prenons un mot au hasard, planète, la lune par exemple . Il a un sens bien défini par l'usage . Il désigne l'astre que tout le monde peut voir par une nuit étoilée . Mais quelles images différentes il éveille chez l'astronome qui ne l'a observé qu'à travers sa lunette astronomique , et chez l'astronaute qui a réalisé le premier pas sur le sol lunaire !
Le mot, tel que le donne le dictionnaire, avec son sens principal et ses sens dérivés, n'est donc ni une photographie des objets, ni une notation exacte et mathématique de nos impressions : c'est plutôt une approximation, une sorte d'ébauche, qui attend de nous sa physionomie distincte, son attitude dernière .
Le style est précisément l'art avec lequel une personne qui s'exprime, un auteur groupe les mots et les combine, les éclaire et les renforce les uns par les autres, ou, au contraire, les éteint et les atténue, afin de rendre sensibles pour le lecteur (ou l'auditeur) telle nuance, tel caractère, que la pensée emprunte au tempérament, à l'éducation et à l'expérience d l'écrivain . Ainsi , avec les milliers de vocables que renferme un dictionnaire et avec seulement quelques centaines , on peut traduire une infinité d'idées et de sentiments .
« C'est parce que le langage n'exprime et ne fait paraître qu'une faible partie de ce monde subjectif, que l'art d'écrire est possible . Si le langage était l'expression adéquate de la pensée, et non un effort plus ou moins heureux vers cette expression, il n'y aurait pas d'art de bien dire . Le langage serait un fait naturel comme la respiration, la circulation, ou comme l'association des idées ; mais grâce à cette imperfection, on fait effort à mieux saisir sa pensée dans tous ses contours, dans ses replis les plus intimes et à la mieux rendre, et l'on fait œuvre d'écrivain .»
Par quelques exemples il paraîtra mieux comment un mot prend un sens spécial, suivant le rayonnement qu'il reçoit du contexte ou d'une simple épithète , et suivant que ses entours le pressent et le resserrent, ou le laissent s'enfler et s'étendre .

Quand l'Hippolyte de Racine dit :

Le jour n'est pas plus pur que le fond de mon cœur (Phèdre) .

-et quand un poète moderne nous décrit un soir de carnaval à Paris :

Sur le pavé noirci les blafardes lanternes
Versaient un jour douteux, plus triste que la nuit ,
Et, suivant au hasard ces feux vagues et ternes ,
L'Homme passait dans l'ombre, allant où va le bruit .

Alfred de Musset, Lettre à Lamartine .

-Est-ce le même jour que le même mot nous fait voir à chaque fois ?

Dans une de ses fables, La Fontaine nous montre un agneau sur le bord d'un ruisseau :

Un agneau se désaltérait
Dans le courant d'une onde pure
( Le loup et l'agneau)

- Ailleurs, une hirondelle s'adresse à de petits oiseaux :


Mais vous n'êtes pas en état
De passer comme nous les désert et les ondes .

- Auguste , dans Cinna, parle de

Cet empire absolu sur la terre et sur l'onde ,
Corneille, Cinna , acte II , scène 1

Qui lui a coûté tant de peine et de sang .

Dans ces trois cas , le mot onde n'évoque -t-il pas en notre esprit trois images différentes ? C'est d'abord une eau cristalline et limpide , un léger ruisseau qui court sur un lit de cailloux . Ensuite, lorsque l'hirondelle parle, nous avons la vision de la mer avec ses orages et ses tempêtes . Enfin , dans Cinna, c'est l'immensité liquide, couverte des flottes romaines, qui s'étend devant le regard de l'imagination .

Qu'on juge par là de quelle infinité de sens et de quelle élasticité les mots sont susceptibles . Par là aussi se justifie l'observation de J. De Maistre : « Si tous les mots devaient être pris dans un sens rigoureux comme les noms de nombre, il deviendrait impossible d'écrire »

Nous poursuivrons l'analyse des subtilités et des richesses de la langue française dans un prochain billet . A bientôt , Gerboise .

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