mardi 1 juillet 2008

A l' heure de l'Europe, n'est-il pas utile de connaître l'opinion de Ernest RENAN en 1882 , en vue de forger son propre esprit critique?

Qu'est-ce qu'une nation ?

Tel est le titre d'une conférence faite par Ernest Renan, 1823-1892, aux étudiants de la Sorbonne, à Paris, le 8 Mars 1882 . Il y affirmait avec éloquence le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, mais il mettait en garde son auditoire contre les confusions auxquelles peut prêter l'idée de nation et l'utilisation néfaste qu'en font les racistes ( racisme : doctrine qui affirme la supériorité de certains hommes, et fonde sur cette soi-disant,[ qui prétend être] supériorité le droit de les dominer), ceux qui confondent race ( ethnie) et nation : " de nos jours... on confond, disait-il, la race (une lignée) avec la nation et l'on attribue à des groupes ethnologiques ou plutôt linguistiques une souveraineté analogue à celle des peuples réellement existants ."

Qu'est-ce donc qu'un peuple, une nation ? Écoutons le conférencier .

" Une nation est une âme ( le principe de la pensée, de la vie morale; l'esprit, et surtout le dynamisme de l'être animé, le courage, les états de conscience, l'être moral constitué par le groupe qu'est une nation; on parle de l'âme d'un peuple, de l'esprit d'une époque comme d'une métaphore, une image commode que la nature complexe des phénomènes qu'elle désigne ne contribue que trop souvent à faire prendre à la lettre) , un principe spirituel (caractère de ce qui est indépendant de la matière, de l'ordre de l'esprit; qui est d'ordre moral et n'appartient pas au monde physique : valeurs spirituelles d'une civilisation) . Deux choses qui, à vrai dire, n'en font qu'une constituent cette âme, ce principe spirituel : l'une est dans le passé, l'autre dans le présent . L'une est la possession en commun d'un riche legs de souvenirs ; l'autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l'héritage qu'on a reçu indivis ( se dit d'un bien sur lequel plusieurs personnes ont un droit et qui n'est pas matériellement divisé entre elles ) .
L'homme, Messieurs, ne s'improvise pas . La nation, comme l'individu, est l'aboutissant d'un long passé d'efforts, de sacrifices et de dévouements . Le culte des ancêtres nous ont faits ce que nous sommes . Un passé héroïque, des grands hommes, de la gloire [ j'entends de la véritable ] ,voilà le capital social sur lequel on assied une idée nationale .
Avoir des gloires communes dans le passé, une volonté commune dans le présent ; avoir fait de grandes choses ensemble, vouloir en faire encore : voilà les conditions essentielles pour être un peuple . On aime en proportion des sacrifices qu'on a consentis, des maux qu'on a soufferts .
On aime la maison qu'on a bâtie et qu'on transmet . Le chant spartiate : " Nous sommes ce que vous fûtes, nous serons ce que vous êtes ", est dans sa simplicité l'hymne abrégé de toute patrie .
Dans le passé un héritage de gloire et de regrets à partager; dans l'avenir un même programme à réaliser; avoir souffert, joui, espéré ensemble, voilà ce qui vaut mieux que des douanes communes et des frontières conformes aux idées stratégiques; voilà ce que l'on comprend malgré la diversité de la race ( de l'ethnie, de ses racines, de ses origines) et de la langue . Je disais tout à l'heure : " avoir souffert ensemble " ; oui, la souffrance en commun unit plus que la joie . En fait de souvenirs nationaux, les deuils valent mieux que les triomphes; car ils imposent des devoirs, ils commandent l'effort en commun . Une nation est donc une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu'on a faits et ceux qu'on est disposé à faire encore . Elle suppose un passé; elle se résume pourtant dans le présent par un fait tangible : le consentement, le désir clairement exprimé de continuer la vie commune . L'existence d'une nation est [ pardonnez-moi cette métaphore ] un plébiscite ( élire quelqu'un ou approuver quelque chose à une majorité écrasante ) de tous les jours, comme l'existence de l'individu est une affirmation perpétuelle de vie ..."

" Je me résume, Messieurs . L'homme n'est esclave ni de sa race (ni de ses racines, de ses origines sociales et géographiques, ni de son peuple d'origine ethnique, ni de sa culture de civilisation, de connaissance, ni de ses savoirs), ni de sa langue, ni de sa religion, ni du cours des fleuves, ni de la direction des montagnes .Une grande agrégation d'hommes, saine d'esprit et chaude de cœur, crée une conscience morale qui s'appelle une nation . Tant que cette conscience morale prouve sa force par les sacrifices qu'exige l'abdication (le renoncement) de l'individu au profit de la communauté, elle est légitime, elle a le droit d'exister ."

Ernest Renan, écrivain français . De sa recherche d'une
certitude, et de son amitié intellectuelle avec Marcelin Berthelot,chimiste et homme politique français,qui fut ministre de l'instruction publique , allait sortir L'Avenir de la Science, 1848, publié en 1890 .

En ces temps actuels, où beaucoup de nos concitoyens ont des difficultés à se situer dans le monde complexe, plein d'impondérables et d'incertitudes , dans lequel nous sommes tous plongés, ce discours de RENAN tenu aux étudiants de la Sorbonne en 1882, devrait nous faire réfléchir à la nécessité de cultiver un esprit critique puissant qui puisse nous permettre de tenir notre place au sein de notre nation : notre douce France ! mais également et en même temps au cœur de cette "vieille Europe !", berceau d'une grande partie de la culture de notre planète .
Bien à vous, Gerboise .

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