samedi 30 août 2008

Histoire de la langue et de la littérature françaises: 6 - Survol dans une première période du XVIIe siècle de la Poésie (suite n° 5, du 15 Août 2008)

*) La réforme de Malherbe : " Enfin Malherbe vint ", dit Boileau . Malherbe en effet prétendit que la poésie fût une œuvre d'art . Il imposa le travail difficile, les strophes coupées de pauses, les rimes riches ; il prescrivit l'hiatus, l'enjambement et toutes les libertés faciles .
Malherbe [1555-1628] donna lui-même l'exemple de cette discipline . Ses poésies et en particulier ses Odes témoignent d'un noble effort vers la clarté, la brièveté, la vigueur et la perfection de la forme . Son oeuvre eut une grande influence sur la poésie classique .

**) La suite de Malherbe : Le goût public approuva Malherbe parce qu'il représentait l'ordre et la raison . Il n'eut pourtant que deux disciples : Maynard, écrivain laborieux et froid, et Racan qui avec une émotion personnelle, célébra dans ses Poésie et Bergeries le charme de la campagne .

***) La poésie mondaine : La société précieuse développa la mode des petits vers et des petits genres, surtout du sonnet . Puis, sous l'influence du goût italien et espagnol, la poésie s'écarta du naturel et de la vérité pour se réduire à un jeu d'esprit, de finesse et de galanterie . Dans ce genre il faut placer à part Voiture [1598- 1648], qui s'imposa à l'admiration des Précieuses par son habileté de facture .
La même antipathie pour le naturel développa la passion du romanesque et fit éclore toute une floraison de poèmes épiques, sortes de longs romans historiques en vers, comme l'Alaric de Scudéry ou la Pucelle de Chapelain .
Le genre emphatique eut sa contrepartie dans le genre burlesque, qui en est la parodie souvent grossière, comme on peut en juger par les œuvres de Scarron [1610-1660], où la verve rehausse la bouffonnerie .

****) Corneille et la tragédie : L'idéalisme de cette époque, son goût pour les sentiments raffinés, les situations compliquées, l'exaltation de la volonté et l'éloquence trouvèrent leur expression parfaite dans les tragédies de Corneille [ 1606-1684] . Utilisant le dialogue de Moutchrestien, la liberté des sujets de Hardy et la régularité d'action que Mairet avait introduite au théâtre avec les fameuses règles des trois unités, Corneille donna en 1636 le Cid, qui excita une admiration universelle en dépit des critiques de l'Académie . Désormais le véritable théâtre français était fondé : l'action n'était plus une suite romanesque d'événements, mais elle servait à mettre en relief des caractères ; l'intérêt était dans le contrecoup des situations sur les âmes; l'analyse des sentiments et la vérité humaine étaient le véritable attrait du drame . Cette vérité Corneille la chercha dans l'histoire où il sut choisir des caractères élevés, des passions nobles, des volontés agissantes qui ont fait de son théâtre une école de grandeur d'âme . Prodigieux inventeur de formes dramatiques, il créa la haute comédie avec Menteur ; il fut aussi un très grand écrivain en vers . C'est ce qui explique le succès de ses chefs-d'oeuvres : Horace, Cinna, Polyeucte, Rodogune, Nicomède .
A côté de lui, citons Rotrou, l'auteur de Saint-Genest et de Venceslas .

Dans la suite n° 6, dans une troisième partie , nous aborderons la prose du 17e siècle, où des grands écrivains et orateurs, comme La Rochefoucauld, Mme de Sévigné, Mme de Maintenon et La Bruyère participeront aux tendances nouvelles .

Bien à vous, Gerboise .

jeudi 28 août 2008

Analyse explicative d'une fable de Jean de La Fontaine . Le LOUP ET L'AGNEAU .

Morale, enseignement de cette Fable :

La raison du plus fort est toujours la meilleure .
Nous l'allons montrer tout à l'heure .

Conte, récit :

Un agneau se désaltérait
Dans le courant d'une onde pure .
Un loup survient à jeun qui cherchait aventure
Et que la faim en ces lieux attirait .
" Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?
Dit cet animal plein de rage :
Tu seras châtié de ta témérité .
-Sire, répond l'agneau, que Votre Majesté
Ne se mette pas en colère ;
Mais plutôt qu'Elle considère
Que je me vas désaltérant
Dans le courant
Plus de vingt pas au-dessous d'Elle ;
Et que, par conséquent, en aucune façon ,
Je ne puis troubler sa boisson .
- Tu la troubles, reprit cette bête cruelle,
Et je sais que de moi tu médis l'an passé .
-Comment l'aurais-je fait, si je n'étais pas né ?
Reprit l'agneau ; je tette encor ma mère .
-Si ce n'est toi, c'est donc ton frère .
-Je n'en ai point .- C'est donc quelqu'un des tiens,
Car vous ne m'épargnez guère,
Vous, vos bergers et vos chiens .
On me l'a dit : il faut que je me venge ."
Là-dessus, au fond des forêts
Le loup l'emporte, et puis le mange
Sans autre forme de procès .

Jean de La Fontaine

REMARQUES , COMMENTAIRES et EXPLICATIONS ; "OBSERVATION D'UN TEXTE" .

"La raison (*) du plus fort est toujours la meilleure .
Nous l'allons montrer tout à l'heure (**) ."
(*) La raison, le discours tendant à prouver ou à justifier une chose, que l'on donne, l'argument que l'on invoque .

(**)
Nous : je, formule de modestie employée par les auteurs ; souvenir d'un usage latin ; montrer : on dirait aujourd'hui : nous allons le montrer . Au XVIIe siècle, les verbes aller, devoir, falloir, pouvoir, faire, etc., se construisaient souvent comme de véritables auxiliaires .
L'auteur veut dire, évidemment, que la raison donnée par le plus fort est, sinon toujours la meilleure en droit, du moins la plus puissante en fait ; tout à l'heure : immédiatement .

"Un agneau (*) se désaltérait
Dans le courant d'une onde pure (**) ."
(*) Agneau : petit de la brebis âgé de moins d'un an ; le jeune âge de l'agneau explique sa naïveté et son inexpérience ; se désaltérait : étanchait sa soif [l'apaiser en buvant] .
(**) Onde : eau en mouvement ; pure : sans mélange, claire, limpide ; c'est parce que l'eau est pure que le loup peut accuser l'agneau de la troubler (la modifier en altérant sa transparence) .

"Un loup survient à jeun qui (*) cherchait aventure (**)
Et que la faim en ces lieux attirait (***) ."
(*) Qui a loup pour antécédent ; aujourd'hui on évite de séparer l'antécédent du pronom relatif ; le présent survient, après l'imparfait se désaltérait , indique la soudaineté de l'apparition du loup .
(**) Aventure : une aventure ; la suppression de l'article défini ou indéfini était fréquente dans l'ancien français, en souvenir du latin où ces articles n'existaient pas ; la suppression de l'article donne plus de généralité à l'expression ; aventure : événement heureux ou malheureux que l'on ne peut prévoir; le loup cherche une proie à tout hasard .
(***) en ces lieux attirait : inversion ; ces lieux : ce lieu, cet endroit ; c'est la faim et non la soif qui attirait le loup près du ruisseau , où viennent boire les animaux domestiques .

" Qui (*) te rend si hardi de (**) troubler mon breuvage (***) ?
Dit cet animal (****) plein de rage (*****) :"
Tu seras châtié de ta témérité .
(*) Qui : neutre ; quoi ? qu'est-ce qui ?
(**) si hardi de : assez hardi pour .
(***) Mon breuvage : remarquez que le loup n'a nullement l'intention de boire .
(****) Cet animal ... : le loup ; cette bête cruelle [vers 18] : ces périphrases évitent la répétition du mot loup, en ajoutant une idée de fureur et de crainte .
(*****) Rage : au propre, maladie qui se traduit par des accès violents ; ici :fureur (colère folle et agressive, caractère d'extrême violence) ; les verbes dit ..., répond [vers 8 et 10] sont au présent, pour donner plus de vivacité au dialogue, il semble que nous y assistons .

"Tu seras châtié de ta témérité .
-Sire, répond l'agneau, que Votre Majesté
Ne se mette pas en colère (*) ;
Mais plutôt qu'Elle considère
Que je me vas désaltérant (**)
Dans le courant (***)
Plus de vingt pas au-dessous d'Elle (****) ;
Et que par conséquent, en aucune façon (*****),
Je ne puis troubler sa boisson ."
(*) Que Votre Majesté ne se mette pas en colère : subjonctif indiquant la prière ; Sire ..., Votre Majesté : titres de respect que l'on donnait aux rois ; il semble que l'agneau parle ainsi au loup pour l'apaiser ; mais, d'autre part, La Fontaine avait sans doute l'intention de représenter, sous la figure du loup, un roi conquérant (nous reviendrons plus loin dans la partie explicative du texte sur ces opinions , avec des commentaires sur les idées principales de ce récit) ; aux vers 12 et 15, Elle représente Votre Majesté : le loup .
(**) Je vas : je vais, forme aujourd'hui très peu usitée ; pour la place du pronom me (voir note ci-dessus) ; aller se désaltérant : être entrain de se désaltérer ; Ex. : "Cette maison va s'écroulant un peu plus chaque jour" .
(***) Dans le courant : petit vers rapide qui fait image et qui représente bien la fuite du courant .
(****) Vingt pas : 10 à 15 mètres, en donnant aux pas une longueur moyenne de 0,50 à 0,75 mètres ; c'est un complément circonstanciel ; au-dessous : en aval ; remarquez la futilité des griefs du loup : même si l'agneau était coupable, sa faute ne serait pas bien grave ; mais en réalité c'est le loup qui troublerait son eau et non lui qui trouble l'eau du loup .
(*****) Façon : vers volontairement prosaïque et qui a pour objet d'indiquer toute la rigueur du raisonnement .

-"Tu la troubles (*) , reprit cette bête cruelle,
Et je sais que de moi tu médis l'an passé (**)"
(*) Troubles : affirmation sans preuve , aussi le loup se hâte-t-il de passer sans transition [ et je sais ] à une autre accusation aussi futile et aussi mal fondée que la première .
(**) De moi tu médis : inversion ; l'an passé : complément circonstanciel de temps ; " la nuit", " le jour", etc.

"Comment l' (*) aurais-je fait, si je n'étais pas né (**) ?
Reprit l'agneau ; Je tette encor (***) ma mère ."
-Si ce n'est toi, c'est donc ton frère (****) .
(*) L' : cela ; c'est un pronom neutre .
(**) Si je n"étais pas né : or, je n'étais pas né [puisque] je tette encore ma mère ; [donc] je n'ai pas pu le faire [ comment l'aurais-je fait ?] .
(***) Je tette : c'est donc un tout jeune agneau, qui n'est pas né l'année précédente : l'argument est irréfutable et facile à vérifier ; encor: ancienne orthographe que les poètes ont conservée pour la commodité de la versification.
(****) Frère : reproche encore plus absurde que les précédents ; en quoi l'agneau est-il responsable des fautes de son frère, ou des siens ?

"-Je n'en ai point (*) .- C'est donc un des tiens (**) ,
Car vous m'épargnez guère (***) ,
Vous, vos bergers et vos chiens ."
(*) Point : aucune discussion possible .
(**) Des tiens : de tes parents [ voir plus haut dans le texte] .
(***) Épargner : ne pas faire [ à quelqu'un ] tout le mal qu'on pourrait [ lui ] faire ; Ex.: " Épargner un animal vaincu" ; ici : vous ne vous gênez pas pour dire de moi tout le mal possible .

"On me l'a dit (*) : il faut que je me venge . "
Là-dessus (**) , au fond des forêts
Le loup l'emporte (***), et puis le mange
Sans autre (****) forme de procès (*****) ."
(*) On : qui, on ? Le loup se garde bien de le préciser .
(**) Là-dessus : sur cela, sur ces paroles, après ces paroles .
(***) L'emporte : forte inversion .
(****) Sans autre : sans [ une] autre (voir note plus haut dans le texte) .
(*****) Forme de procès : ensemble des formalités nécessaires au jugement d'un procès ; le sens est : le loup le mange sans se donner la peine d'inventer de nouveaux prétextes ; remarquez la rapidité du dénouement : trois vers de huit pieds, et, dans ces trois vers, les deux verbes au présent .

EXPLICATIONS .


I- Indications d'ensemble .

Cette fable fait partie du livre 1er du Recueil de Fables de Jean de La Fontaine ; publication du livre 1er : 1668 ; sujet emprunté à Phèdre et à Esope .

II- Analyse et distribution de la fable.

C'est, comme la plupart des fables de La Fontaine, un véritable petit drame qui, - en dehors de la morale- comprend trois parties :
1° Une exposition : l'agneau se désaltère ;
2° Une première péripétie : arrivée du loup ;
3° Une deuxième péripétie : discussion du loup et de l'agneau ;
4°Un dénouement : le loup dévore l'agneau .

III- Idée Essentielle .

Elle est contenue dans la morale :
"La raison du plus fort est toujours la meilleure" .
La Fontaine a-t-il voulu dire qu'il suffit d'être le plus fort pour avoir toujours raison ? Ce serait absurde : le brigand armé qui assassine et dépouille le voyageur sans armes est bien le plus fort : il n'en a pas moins tort .-Il fait, au contraire, allusion aux rois conquérants qui, sous les plus futiles prétextes, attaquent les nations les plus faibles .
Mais la fable a une portée plus générale : on est le plus fort, non seulement quand on a une armée plus nombreuse ou une vigueur physique plus grande que son adversaire, mais aussi quand on a plus de puissance, plus de fortune, plus d'influence que lui : abuser de ces avantages pour faire triompher une cause inique (qui manque gravement à l'équité ,[ vertu qui consiste à régler sa conduite sur le sentiment naturel du juste et de l'injuste] , très arbitraire ) , c'est agir à la manière du loup .
Dans la vie civile, il est juste et nécessaire que les tribunaux donnent raison non à celui qui est le plus fort , mais à celui qui a réellement raison . Dans les conflits entre peuples, il serait juste et nécessaire que les tribunaux internationaux pussent décider qui a raison et éviter ainsi le recours à la force .

IV- Personnages :

Le loup , animal carnassier, et violent, "cruel" et " plein de rage" . Il représente l'oppresseur : d'ordinaire celui-ci se contente de faire appel à sa force ; parfois cependant il joint l'hypocrisie à la violence par le besoin naturel qu'ont presque tous les malfaiteurs de couvrir leur actes [ peut-être à leurs propres yeux] d'un semblant de prétexte . Il s'exprime avec brusquerie et avec rudesse [vers 7,18,19,26] .
L'agneau , animal domestique et inoffensif, est craintif et doux . Il représente l'opprimé : il prend au sérieux les reproches du loup et les discute avec bonne foi et naïveté : il ne sait pas que, sans la protection d'une société établie sur des principes d'équité (d'impartialité) , la justice et la raison ne sauraient prévaloir contre la violence . - Il s'exprime avec politesse, avec modération et, même avec respect [vers 10,17] .

V- Appréciations littéraires :

On trouve dans cette fable les qualités habituelles de La Fontaine :
1° La sobriété : aucun détail inutile ; tout le nécessaire et rien que le nécessaire ;
2° La simplicité et le naturel : aucune phrase déclamatoire ; pas de grands mots; chaque personnage dit ce qu'il doit dire et le dit de la manière la plus naturelle ;
3° L'élégance sans recherche : la simplicité ne tombe jamais dans la vulgarité ;
4° La netteté et la clarté : les idées s'enchaînent logiquement et rigoureusement .

Voici, lecteur, un exemple d' analyse qui vous permettra , nous le pensons, "de voir" et de comprendre comment on "observe" un texte pour pénétrer, saisir toute sa substance et sa construction en une langue française irréprochable .
Bien à vous,à bientôt, Gerboise .


















vendredi 22 août 2008

Opter ou choisir [*] : Ou comment faire aborder [**] l'ensemble des Essais de Jacques ATTALI par de futurs lecteurs de cet auteur, par Gerboise [ §]?

Cette gravure est extraite du merveilleux ouvrage, plein d'humour, recommandé le 26 Juillet 2008 dans notre blog :

LE GRAND LIVRE DES PETITS MÉTIERS de Robert Lépine, peintre et illustrateur ; Texte de Françoise Moine, journaliste-écrivain, ; RTL Éditions Luxembourg, 1984 . (Vous pouvez agrandir la gravure par un clic gauche et ensuite revenir vers le texte en reculant d'une page )

[§] - ceux n'ayant pas découvert cette œuvre avant ce billet , et donc ne faisant pas partie des lecteurs assidus depuis le début de cette épopée en 1973 : avec le premier livre de l'auteur , "Analyse économique de la vie politique", édité aux PUF ; ou ceux qui ont commencé par la lecture du dernier : "Une brève histoire de l'avenir" publié aux Éditions Fayard en Mai 2007 à Paris .

Lecteurs, les circonstances souvent liées au hasard (!), dit-on , mais ici réelles , m'ont fait découvrir d'abord un ouvrage : "Une brève histoire de l'avenir", qui a suscité, éveillé ma réflexion, puis ma curiosité, et ensuite m'a incité à"dénicher" tout l'ensemble des ouvrages publiés par Jacques Attali , Conseiller d'État, Ancien élève de l'École polytechnique[ major de la promotion 1963] . Ingénieur au corps des mines . Diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris . Docteur d'État en économie .
Le premier livre dont j'ai pris connaissance, le dernier d'une très longue série, où l'auteur réalise une sorte de synthèse dont nous reparlerons plus tard, est très difficile à présenter car il fait appel à tout l'ensemble des concepts des œuvres précédentes .

J'ai préféré commencer par "aborder" cette riche succession de thèmes publiés à partir de 1973, par celui qui présente un aspect de la Médecine, inédit ( sans précédent) à ma connaissance : Les relations des Humains avec le Mal !
La richesse de tous les sujets innombrables de la création de cet auteur est telle que l'on peut choisir et commencer n'importe où : on se retrouvera partout dans un contexte très riche de concepts efficients et passionnants .

J'ai donc choisi d'aborder la médecine, science dont la nature profonde a été depuis des temps immémoriaux, à l'origine de l'évolution religieuse, intellectuelle, sociale et politique de ces "Êtres" qui se sont différenciés des autres primates et du règne animal .

[*] Opter : faire un choix entre deux ou plusieurs choses inconciliables qu'on ne peut obtenir ou réaliser (exécuter) à la fois . On opte en se déterminant pour une chose, parce qu'on ne peut les avoir toutes . On choisit en comparant les choses, parce qu'on veut avoir la meilleure . Nous n'optons que pour nous, mais nous choisissons quelquefois pour les autres .

J'ai opté de commencer à "me plonger !" dans le livre : La parole et l'outil, Éditions PUF, 1976 ; mais je dois choisir pour les lecteurs du blog Gerboise un premier livre à analyser .
Choisir [préférer] concerne la liberté, c'est se prononcer en faveur d'une personne ou d'une chose plutôt qu'une autre . Ce choix qui est très difficile, parfois, et très redoutable lorsqu'on réfléchit à toutes les conséquences qui peuvent se produire, survenir .

[**] faire aborder : commencer à agir dans une action , à s'occuper d'une chose, ou d'un thème que l'on ne connaît pas, ou avec lequel on n'est pas familier ; en venir à ..., pour en parler, y réfléchir, mais également approfondir les concepts présentés . Ici, aborder l'œuvre de Jacques Attali, en venir à l'ouvrage qui va permettre de mettre en valeur, dès ce premier billet du blog l'ensemble de la présentation de ses idées , de faire comprendre comment il en arrive à une cohérence constructive de ses conceptions sur l'évolution de l'Humanité .

Présentation du livre : L'ordre cannibale, Vie et mort de la médecine , de Jacques Attali ,1979, par les Éditions Grasset & Fasquelle, au verso de l'ouvrage .

"Et si la maladie et la santé venaient à perdre leur sens ? Et si la vie et la mort devenaient indiscernables ? Et si l'homme vendait son corps pour en consommer la copie par morceaux ?

Telles sont les premières interrogations auxquelles répond Jacques Attali dans cette " économie politique du mal " réalisée au terme de plusieurs années de réflexion et d'enquête, notamment aux U.S.A., au Japon et partout en Europe .

Dès lors que la vie devient de plus en plus un bien économique, l'hôpital se vide, l'exercice de la médecine est en passe de céder le pas devant l'utilisation des prothèses . Encore ne faut-il pas se borner à annoncer ces évolutions, mais se demander : comment en est-on arrivé là, depuis que les hommes tentent de dénoncer le mal, de le conjurer et de le séparer ?
Jacques Attali s'appuie sur une vaste synthèse historique montrant, dans leurs dimensions mondiales, les principaux tournants de l'histoire de la médecine, de l'hôpital, des épidémies, de la charité, de l'assurance, de l'électronique et de la génétique, jalonnée par les hégémonies successives du prêtre, du policier puis du médecin dont le règne aujourd'hui touche à sa fin .

Au terme de cette double enquête-réflexion - sur le terrain où s'esquisse l'avenir, dans le passé où il explique-, Jacques Attali démontre que de la consommation réelle des corps dans les sociétés cannibales à la consommation des copies du corps que nous prépare l'ère des prothèses informatiques et génétiques, nous ne sommes jamais sortis d'un Ordre cannibale, et que la société industrielle n'a jamais été rien d'autre, en fin de compte, qu'une machine à traduire un cannibalisme vécu en un cannibalisme marchand .

Après l'Anti-économique, la Parole et l'Outil, Bruits, Jacques Attali nous donne à comprendre l'histoire du mal pour aider à percevoir les chances de la vie ."


Voici maintenant ,Signes de vie ,ou introduction de l'auteur :

" Et si la maladie et la santé venaient à perdre leur sens ? Et si la vie et la mort devenaient indiscernables ? Et si l'homme vendait son corps pour en consommer la copie par morceaux ?
Douleur et Pouvoir, Médecine et Argent, concepts éternellement liés, où notre avenir se lit, invariable et bouleversé .

Depuis que l'histoire est pensée par les hommes, toute société s'est voulue immortelle, tout pouvoir s'est cru capable de faire oublier la mort . Tout guérisseur, auxiliaire du politique, a davantage servi à déterminer la signification du mal qu'à éliminer, à décider de l'avenir qu'à guérir de la maladie .

Mais la médecine, depuis un siècle et demi forme essentielle de lutte contre le mal, est aujourd'hui en crise . Trop coûteuse, trop lente, trop humaine, elle ne répond plus aux exigences d'efficacité du temps . L'immense majorité des maladies et des morts d'aujourd'hui ne sont pas de son ressort et, parmi celles qui le sont, une bonne part sont des lésions causées par son exercice même ; la plupart des cancers et des accidents cardiaques ont leur cause dans le travail et l'alimentation ; l'hôpital et la pharmacie font plus de profit avec leur échecs qu'avec leur succès . La moitié des dépenses de santé ne sert qu'à retarder la mort de quelques semaines ; un quart des actes médicaux nécessaires sont dus à l'hôpital et aux médicaments et, alors que la consommation déréglée de ceux-ci engendre oubli et apathie en Occident, les huit dixièmes de l'humanité n'ont encore aucun accès à la médecine clinique .

Le problème de la santé nous renvoie à l'image que nous nous faisons de nous-mêmes, de nos fautes et de nos droits : s'annonce alors aujourd'hui un nouvel ordre de vie, où la prothèse va remplacer le médecin, où l'industrie est en passe de chasser l'homme de la guérison de l'homme . Étrange pronostic, impensable dans les termes du morne discours sur l'avenir, libéral ou marxiste, qui nous enferme encore (texte publié fin 1979) . Car, malgré l'abondance de la littérature à son sujet, la mutation du Mal, qui a commencé, est comme censurée, mutilée . Partout, on fait comme si l'économie politique du Mal devait éternellement avoir avoir été et rester l'économie politique de la médecine . Comme si la vision de l'avenir devait éternellement avoir été et rester celle des penseurs du XIXe siècle .
Imposé, indiscuté, narcissique, le savoir sur le Mal est péremptoire et se prétend indéfectible : nul autre que le médecin n'a droit d'en parler sous peine de s'attirer les foudres de la Faculté, nul n'a le droit de dire qu'il n'est pas de savoir éternel et que, bientôt peut-être, celui-là sera, comme les autres dépassé .

Et il est pourtant urgent d'entamer cette certitude et de briser ce discours totalitaire sur la vie . Car le mouvement actuel de la médecine vers la prothèse, du traitement des vivants vers la production consciente de vie, de la guérison des hommes vers la commercialisation de leurs copies, bouleverse l'ordre des choses .
Bientôt, l'homme ne sera plus une précieuse machine, productrice de capital, et donc à guérir, mais une marchandise à consommer, et donc à produire . le médecin sera oublié, comme les guérisseurs antérieurs . Le débat sur le Bien et le Mal, sur la propriété privée ou publique du corps, sur le concept même d'individu et de société aura perdu tout sens .

Impensable ? Déjà là . Tout ce qui nous entoure est devenu objet de consommation et produit en série : nourriture, transport, logement, musique . Tout, sauf l'homme lui-même . Or la crise de la médecine éclaire justement, dans la brume du présent, un futur où guérir s'efface derrière vendre, où la vie et la mort, le pathologique et le normal, le naturel et l'artificiel deviennent indiscernables . Elle dessine un avenir où, pour survivre, la société industrielle avalera tout ce qui lui est encore étranger ; un avenir où l'homme, pour obtenir le pardon de ses fautes, pour guérir son mal, consommera, "mangera" l'image de l'homme construite par l'homme .

Cannibalisme de marchandises par des marchandises .

Il est tentant de voir en ce futur, comme en un jeu infini de miroirs, l'image d'un passé fondateur où furent véritablement mangés les cadavres, où maladie et guérison s'ordonnaient déjà dans un cannibalisme vécu, où le seul combat pour la propriété était celui qui opposait des hommes à la recherche d'éternité .
Métaphore ? Non, théorie . Cannibalisme guérisseur, cannibalisme vengeur, cannibalisme rédempteur . Éternité oubliée de nos cultures terrorisées par leurs sources, lois enfouies de nos morales terrifiées par leurs fondations . Et pourtant il est là, à fleur d'histoire, pour qui veut le regarder en face .

Dans la plupart des
sociétés primitives, pour chaque homme et pour chaque groupe, être malade c'est être menacé de mourir et être attaqué par les âmes des morts à la recherche de proies et de compagnons . Se soigner, c'est se battre contre elles et les éloigner .
Et d'abord pour cela, ruse superbe, consommer leur support, enfermer les cadavres des morts dans le corps des vivants pour séparer l'âme et l'éloigner irréversiblement . Cannibalisme thérapeute, ordre fondateur et durable, mais menaçant et fragile : car il accompagne prédation, chasse, vol . Il nie la propriété par chaque homme de lui-même et de son éternité . Manger pour vivre engendre le meurtre pour manger . Aussi, trop dangereux pour durer, le cannibalisme s'efface-t-il ; mais trop nécessaire pour disparaître, il se met en scène : l'ordre devient spectacle, conjuration de la peur du Mal .

Ce livre est l'histoire des quatre formes successives du spectacle de l'ordre cannibale, qui sont aussi les quatre formes de la guérison, les quatre formes du Bien et du Mal, les quatre métaphores majeures de l'ordre social et de la propriété . Trois sont moribondes . Une est entrain de naître .

D'abord spectacle religieux :dans ce premier ordre de vie, les signes essentiels du Mal sont les
Signes des Dieux . Y est maladie la possession par les Malins, âmes distinguées ; guérir, c'est se séparer rituellement des Malins, sacrifier le bouc émissaire pour se faire pardonner des Dieux es fautes passées et prévenir les suivantes .
Le prêtre, thérapeute majeur, donne un sens à la faute comme cause du mal, dénonce le sacrifiable, le consommable, éloigne le Malin et organise la mort comme passage à la vraie vie, où l'âme attendra avec les autres sa résurrection . Toutes les religions, y compris le christianisme jusqu'au XIIIe siècle après Jésus-Christ, ritualisent avec l'ordre cannibale . La légitimité de la prédation n'est plus thérapeutique, naturelle, mais divine, comme l'est celle de la propriété du sol .

Puis, incapable de gérer la violence des épidémies et d'enrayer la prolifération des pauvres, nouveaux véhicules du Mal , l'ordre des Dieux s'efface . Pour maintenir l'ordre, il faut maintenant séparer le corps de certains vivants, les pauvres, du reste de la société, et non plus séparer l'âme du corps . Sacrifier devient contenir . Sous l'empire des
Signes des Corps, guérir c'est oublier les pauvres enfermés dans l'hôpital et la charité .Les nouveaux guérisseurs, policiers et administrateurs, désignent et séparent les corps en danger et dangereux . Un pouvoir central s'installe, équilibrant les forces statiques et contenant le mal ; peste et misère, quarantaine et hôpital, bien avant Fichte ou Marx, constituent le fondement réel et la forme vécue de l'État moderne .

Puis, l'émergence de l'économie industrielle annonce une nouvelle métaphore : plus de statique, de la dynamique . Il faut mettre les pauvres au travail, précieuses machines à entretenir et non plus dangers à éloigner . Les Signes des Corps se brouillent, un nouvel ordre émerge, celui des
Signes des Machines , à conduire, à réparer .
Le mal n'est plus prolifération d'une violence déséquilibrante dans le corps social, mais panne de la machine individuelle . Se guérir, c'est cesser d'être malade ou pauvre . Le médecin prend le pas sur le prêtre et le policier, orchestrant l'hygiène, puis le traitement des maladies . Le corps médical et le système politique maintiennent et rétablissent le fonctionnement des machines, éliminent la pauvreté et non les plus pauvres, chassent la maladie et non plus les malades .
La Charité devient Assurance, la séparation devient chirurgie .

Aujourd'hui, comme tout le reste du théâtre social,la représentation thérapeutique est moins applaudie . Le Mal prolifère, de plus en plus de spectateurs montent sur scène, la médecine clinique s'essouffle, réparer devient plus coûteux et moins efficace, l'homme prend conscience qu'il meurt de son comportement social .
En un savoir nouveau se dessine un nouvel avatar du cannibalisme, désignant une nouvelle forme de Mal à éliminer, à consommer . Le Mal devient le comportement pathogène : d'abord l'anormalité, ensuite l'étranger . Guérir, c'est remplacer, pour normaliser . Les signes des Machines cèdent la place aux
Signes des Codes . Au médecin s'ajoute, puis se substitue la prothèse, copie des fonctions du corps . Le savoir informatique, puis génétique, remplace celui de la dynamique . A la consommation relationnelle et ritualisée du Mal succède une consommation marchande et insensée de l'artefact normalisé .
Pour nier encore la mort, le capitalisme a besoin de manger la santé, de faire de la vie une marchandise, de l'homme un robot, consommateur de robots, robot cannibale . La crise actuelle de la santé annonce un retour radical à la première stratégie contre le Mal : une révolution autour du cannibalisme .
De rupture en rupture, se succèdent les troupes sur la scène, changent les acteurs de l'ordre, changent les formes du Mal et celles de la guérison . Religion, Police, Médecine, Génétique sont différentes incarnations d'une même stratégie, de rôles identiques joués par des acteurs différents . Accompagnateur et annonciateur, dénonciateur et thuriféraire ( flatteur) , le guérisseur est successivement prêtre et consolateur, policier et séparateur, médecin et réparateur, prothèse et substitut . Mais il est toujours médiateur entre l'homme et ses morts, masque de la solitude dans la symbolique des hommes et, demain, dans la solitude des objets, toujours l'auxiliaire par qui s'insinuent les consigne du pouvoir et les règles de l'ordre .

Parler de santé c'est donc parler politique au sens le plus haut, c'est comprendre comment tout thérapeute soutient un ordre en désignant ses ennemis et en imposant les formes de leur destruction . Lutter contre le Mal, c'est toujours manger le mal : l'Ordre est toujours cannibale !

Complices dans la pratique, thérapeute et politique le sont dans le discours : " Soumettez votre vie ou vous mourrez " , disent-ils . Guérir, comme gouverner, c'est dénoncer le Mal pour le séparer du Bien, débusquer la violence pour la détruire : quand le comte Ugolin ( Gherardesca [mort à Pise en 1288] d'une famille Italienne qui joua un rôle important dans la ville dans la querelle des guelfes et des gibelins [ XIIIe-XIVe siècle] ; il fut banni de Pise; à l'aide des Florentins il reprit le pouvoir ; renversé par une conspiration, il fut enfermé dans la "tour de la faim" avec ses enfants ; selon la légende, il serait mort le dernier après avoir tenté de les manger . Son supplice inspira Dante, dans l'
Enfer ) mange le cerveau du cardinal Ruggiéri , l'un et l'autre souffrent, mais l'un et l'autre guérissent en expiant leurs fautes . Les traîtres sont punis, l'ordre est rétabli et Pise change de mains . La Divine Comédie est jouée .

Tel est à mon sens le parcours du Mal dans l'histoire humaine .

On ne doit pas prendre ces généralisations pour des généralités, ces invariances ( Invariant : se dit d-une grandeur, relation ou propriété qui se conserve dans une transformation de nature physique ou mathématique ; qui ne change pas, absence de variation ) pour des naïvetés, cet universalisme pour une méconnaissance de l'infinie variété des groupes humains . Au-delà du complexe, il y a le simple, au-delà du particulier, il y a l'universel .
Et le voici : l'homme invente le Mal, le Mal invente l'homme .
On peut refuser cette hypothèse, pour deux raisons au moins : même si l'histoire des hommes est accessible au savoir de l'homme, est-il nécessaire de la fonder sur un cannibalisme universel ? Même si le cannibalisme est d'ordre fondateur, notre temps constitue-t-il vraiment un clivage privilégié de l'histoire de la culture, de la violence et de la guérison, l'achèvement de la traduction marchande du cannibalisme, le renversement radical de la diversité et de la violence dans la norme et l'indifférence ?

Tous les discours des médecins et des politiques d'aujourd'hui répondent négativement à ces deux questions, et, puisqu'ils rendent compte de bien des choses, sans exiger une hypothèse aussi envahissante, aussi générale, aussi métaphorique, aussi esthétique que celle de l'ordre cannibale, on pourrait s'en contenter .
Mais en fait, même s'ils ne l'explicitent ni le nient, tous ces discours, aussi pragmatiques soient-ils, s'enracinent eux aussi dans une hypothèse générale sur un rapport inaugural au Mal, sur une stratégie première de l'homme face aux agressions extérieures .
Toute violence et toute culture présentes sont le souvenir terrifié de celles des premiers hommes ; elles s'inscrivent dans des millénaires de mythes et de peurs . Aussi émettre une hypothèse sur le rapport futur de l'homme et du Mal exige-t-il d'en embrasser toute la généalogie . Or les histoires de la médecine font comme si tout commençait avec la clinique, comme si l'histoire des médecins du passé contenait toute l'histoire et tout l'avenir des rapports de l'homme et du Mal . En fait, ce sont que des arches de Noé avant le Déluge, dérisoires tableaux apologétiques ( partie de la théologie chrétienne ayant pour objet de défendre la religion et d'établir, par des arguments historiques et rationnels, le fait de la révélation chrétienne ) d'un métier contesté, légitimation impossible d'une conception moribonde de la guérison, de la vie et de la mort . Précédées d'histoires des religions et d'histoires des polices, elles ne sont que les prolongements anecdotiques des travaux des théoriciens du XIXe siècle, des commentateurs secondaires des idéologues de l'ordre des machines . parce qu'ils ne disent rien des bouleversements du passé, de tels discours n'apprennent rien sur ceux de l'avenir .

Derrière le présent, fait de science et de puissance, il faut donc mettre au jour, débusquer les stratégies fondatrices qui occupent encore l'essentiel de notre mémoire .

A la lecture des mythes et de l'histoire, la première forme de lutte et de conjuration du Mal me paraît avoir été son ingestion : l' Ordre cannibale, l'appropriation du même pour l'empêcher de nuire, mis en scène successivement dans celui des Dieux, des Corps,et des Machines .
Faut-il alors voir dans notre temps, non pas l'anecdotique et fugace ride de l'océan de l' Histoire, mais un tourbillon majeur dans les signes de vie, un ultime avatar du cannibalisme ; ou bien sommes-nous seulement dérisoirement fascinés par les quelques secondes de notre propre matérialité ? Insoluble question, en apparence .
Et pourtant, en une mystérieuse cohérence et une subtile esthétique, notre époque, ni sensée ni belle, dessine comme le contour immobile d'un futur jamais pensé, en même temps que toujours présent dans nos mémoires, d'un futur où " manger pour vivre " devient " consommer pour produire " , où le cannibalisme, censuré mais présent, ressurgit, proliférant, mangeur du même .

Tel est, à lire les faibles signes que la vie a laissés sur le sable de la mémoire, l'ordre indépassable : manger pour se vivre, vivre pour se manger .

Je veux ici seulement l'annoncer, sans proposer d'autres signes de vie, d'autres sens du Mal . Je n'entends pas rassurer en même temps que j'inquiète, mais dénoncer l'indépassé sans montrer comment le transgresser . J'aurai réussi s'il devient clair que ne sont acceptables ni la conservation nostalgique des ordres religieux, policier, médical, ni la maîtrise raisonnée de l'Ordre des Codes, ni l'invention poétique d'une forme non cannibale de guérison .
La rébellion contre le cannibalisme ne peut venir que de l'acceptation de la vie et de la mort, du désir de différence et de liberté, d'une connaissance vraie de l'histoire du Mal . Elle ouvre à l'invention et à la production d'un monde où manger l'autre ne sera plus la seule façon de ne pas être seul ; où être mangé par l'autre ne sera plus la seule voie d'accès à l'éternité ."

Fin de l'introduction du livre :L'ordre cannibale , Vie et mort de la médecine, de Jacques Attali , Editions Grasset, 1979 .

Nous poursuivrons l'analyse de l'intégralité de tous ces livres dans de nombreux billets, avant de réaliser une synthèse qui constituera un approfondissement général concernant l'ensemble des concepts qui enrichiront exhaustivement le contenu de nos " Savoirs et Réflexions" .

Bien à vous : Gerboise



samedi 16 août 2008

Premières clartés du matin : Les provinces de France - L'Ile de France .


Ces gravures sont extraites d'un merveilleux petit livre de Doré Ogrizek que nous vous conseillons d'acquérir : Les provinces de France, publié en Novembre 1953 par les Éditions Odé . L'ouvrage est préfacé par Georges Duhamel, de l'Académie Française . L'illustration ci-dessus [qui peut-être agrandie par un clic gauche] est de Pierre Belvès, celle située en-dessous, est de Perraudin .

Les textes de différents auteurs, présentent chaque Province Française d'une façon admirable, et sont agrémentés par des croquis régionaux agréables et de bon aloi (de bon goût, qui mérite d'être dans un tel ouvrage, connu ) .




" Toutes les générations y ont laissé leur empreinte, et c'est enfin, dans un cadre jeune et charmant, le reliquaire de la patrie . Je le sens à moi, ce sol que mes pères ont semé . Sans doute, toutes les provinces de la France sont également françaises, et l'union indissoluble est faite entre celles qui formèrent le domaine des premiers rois moines de la troisième dynastie et celles qui entrèrent les dernières dans cette réunion sacrée . Mais il est permis à un vieux Parisien archéologue d'aimer d'un amour spécial l'Ile-de-France et les régions voisines, centre vénérable de notre France à tous . C'est là que se forma la langue délectable, la langue d'oil, la langue d'Amyot et de La Fontaine, la langue française . C'est là enfin ma patrie dans la patrie ."

Anatole France

En attendant de vous amener en Bretagne, comme chaque année, bien à vous, Gerboise .

vendredi 15 août 2008

Histoire de la langue et de la littérature françaises : 5 - Survol dans une première période du XVIIe siècle de la Prose ( suite n°4, du 9 Août 2008 )



Le XVIIe siècle se divise en deux périodes [parties (morceau d'un tout ayant des caractères propres et envisagé dans ses rapports avec lui) , époques (périodes historiques déterminées par des événements importants, ou caractérisé par un état de choses) ] que sépare la date du gouvernement personnel de Louis XIV, 1660 . La première est celle de la mise au point de la langue et de la formation de l'idéal classique .

Après la fantaisie individuelle du XVIe siècle, le besoin se fait sentir d'une langue plus fixe et plus épurée, d'une syntaxe plus régulière, d'idées plus générales . Désormais les auteurs écriront pour tout le monde dans la langue de tout le monde . Ainsi le voudront les écrivains et la société polie .

*) Les grammairiens :

Malherbe , grammairien autant que poète, fut le premier qui posa le principe de réduire la langue aux mots purement français, en prenant pour règle l'usage, et même l'usage populaire . Après lui, Vaugelas continua son œuvre . Il s'appliqua à préciser le bon usage dans les mots et la grammaire, et résuma ses observations dans ses Remarques sur la langue française [1647] .

L'Hôtel de Rambouillet - A l'hôtel de Rambouillet, la marquise réunissait écrivains et gens du monde dans un souci commun des belles manières, de la causerie et des distractions littéraires . Ce fut le cercle des Précieuses dont une des occupations favorites fut de mettre au point la langue nette etclaire qui pût servir aux besoins nouveaux des esprits et des mœurs .

**) l'Académie : A la même époque, Richelieu prenait sous sa protection une assemblée de gens de lettres qui se réunissait chez Conrart . Ainsi fut fondée l'Académie Française [1634] , qui ne tarda pas à se proposer " l'embellissement de la langue " Par la rédaction d'un Dictionnaire .

***) Moralistes et Philosophes : La langue était mûre pour les ouvrages sérieux . Balzac , dans ses traités et ses lettres, sut développer des lieux communs de morale dans une prose régulière, cadencée et harmonieuse , qui est demeurée la forme même de l'éloquence

Descartes [ 1596-1650], mathématicien et philosophe, écrit en français son Traité des Passions et son Discours de la Méthode . Il est grand par la pensée plus que par le style . Il fonde la certitude sur la raison . Son influence a été considérable . Il a donné la formule du goût classique au XVIIe siècle et inspiré la philosophie du XVIIIe siècle .

Pascal [ 1625-1662] fut d'abord un grand mathématicien . Une crise de mysticisme (croyance, doctrine philosophique faisant une part excessive au sentiment, à l'intuition ) le fit entrer à l'abbaye de Port-Royal où il écrivit pour défendre ses amis jansénistes ( doctrine chrétienne issu de la pensée de Jansénius , théologien néerlandais, sur la grâce et la prédestination, mouvement religieux et intellectuel austère qui en découle ) son pamphlet ( court écrit satirique, qui attaque avec violence les institutions, un personnage connu) des Provinciales dirigé contre les Jésuites [ 1656] . Dans sa retraite, il composa par fragments ses Pensées qui parurent après sa mort . Âme ardente et écrivain de génie, il a peut-être atteint le plus haut point de l'éloquence française .

****) Le roman : Le goût de l'époque se plut aux romans interminables, à sujets pastoraux comme l'Astrée de l' Urfé, ou à sujets antiques comme la Clélie de Mlle de Scudéry .Le romanesque et le mauvais goût précieux y abondent, mais les portraits et les analyses de sentiments y révèlent la sûreté de psychologie qui allait inspirer les grandes œuvres .

Dans la suite n° 5, en une deuxième partie nous aborderons la poésie du 17e siècle, où Malherbe, "enfin vint", dira Boileau, où Corneille, dans ses tragédies, analysera les sentiments et la vérité humaine .

Bien à vous, Gerboise .


samedi 9 août 2008

Histoire de la langue et de la littérature françaises : 4 - La poésie au XVIe siècle, ( suite n° 3, du 02-08-2008 )

Chronologies de Maurice Griffe : Histoire de l'écriture et de la littérature mondiale .

site internet : www.chrono-tsh.com
e-mail : tsh@chrono-tsh.com
Auteurs : Florence Meyer et Xavier Deboffles

Le graphique ci-dessus peut être agrandi par un clic gauche, puis , par un autre clic gauche sur la page précédente , revenir sur le texte .



Il faut distinguer deux périodes dans la poésie du XVIe siècle : celle de Marot et celle de Ronsard.

*) La période de Marot :


La poésie compliquée de l'âge précédent se continue d'abord dans les œuvres des grands rhétoriqueurs Coquillard, Molinet et Crétin . A cette école se rattachent Jean le Maire de Belges et Jean Marot, qui cultivent les petits genres de l'ancienne poésie .

Clément Marot [ 1495-1544] , leur disciple, mais influencé par la Renaissance et la Réforme, fut un poète de cour à qui ses dons naturels de grâce, de finesse et d'esprit assurèrent un grand renom . Outre ses poésies légères, il donna une traduction en vers des Psaumes .
Après lui Mellin de Saint-Gelais continua et défendit son œuvre . Mais déjà à Lyon, Maurice Scève et Louise Labbé faisaient pressentir, dans leur poésie moins sèche et plus subtile, une doctrine nouvelle .

** ) La Pléiade :

Cette doctrine nouvelle fut celle de la Pléiade . Sous ce nom se groupèrent plusieurs poètes qui prétendirent réformer la poésie et la langue . L'école avait pour chef Ronsard et elle publia en 1549 son manifeste sous le titre de Défense et Illustration de la langue française ( déjà à cette époque, ce besoin venait de se manifester !) , dont l'auteur fut Joachim du Bellay . La pléiade voulut doter la France d'une grande poésie et elle se proposa de renoncer à tous les petits genres pour adopter les grands genres antiques et le sonnet italien . Notre langue pouvait, d'après ces réformateurs, suffire à ce projet, si on l'enrichissait par des emprunts gréco-latins, des formations nouvelles selon les procédés des anciens, et aussi par l'adoption des termes de métiers . Ces poètes, par défaut de haute inspiration et par excès de pédantisme, ne réalisèrent pas toutes leurs promesses, mais ils produisirent des œuvres agréables et donnèrent son orientation à notre littérature classique .

Ronsard ( 1524-1585) fut un grand artiste de vers, souvent gracieux et ému de ses odes et ses sonnets, vigoureux dans ses discours, mais souvent aussi froid et pédantesque . Son génie ne fut pas à la hauteur de ses desseins .
Autour de lui brillèrent Joachim du Bellay ( 1522-1560), le poète le plus personnel de l'école ; Baïf (1532-1589) ; le gracieux Remy Belleau ; Pontis de Thyard et Jodelle .

***) Les continuateurs :

L'influence de Ronsard se continua jusqu'à Malherbe . C'est à lui que se rattache Passerat (1534-1602) ; Du Barthas (1544-1590) ; d'Aubigné (1552-1630), le passionné et puissant auteur des Tragiques ; les poètes faciles Desportes, Berrtaut et Régnier (1575-1613), l'écrivain nonchalant et pittoresque des Satires .

**** ) Le théâtre : La Pléiade fit naître un théâtre nouveau, imité de l'antiquité . Jodelle écrivit la première tragédie française, Cléopâtre . Après lui Robert Garnier et Antoine de Montchrestien (1575-1621), dans des œuvres faites surtout pour la lecture, préparèrent les voies à Corneille .
La comédie se rattache encore à la farce dans les œuvres de Larrivey .

Dans la suite n° 4, en une première partie, nous présenterons les progrès de cette prose du 17e siècle, où des Descartes, Pascal ...brillèrent. L'avènement du roman révolutionnera désormais notre littérature .

Bien à vous, Gerboise .

vendredi 8 août 2008

Baltasar GRACIAN Y MORALES , Moraliste et essayiste espagnol, Jésuite rebelle, il a influencé la pensée morale européenne jusqu'à nos jours .


Baltasar GRACIAN y Morales [ 1601- 1658] publia avec maintes difficultés des œuvres diverses :


Le Héros [ 1637] est une sorte de traité politique sur le chef idéal .

De l' Honnête Homme [ 1646 ] contribue à imposer pour deux siècles , en Europe , le nouvel idéal d'honnêteté .

L' Homme de Cour [ 1647] est une série de maximes morales .

Oracle manuel et Art de la Prudence [ 1647 ] où il est dit que le juste n'a que faire de lois, le sage, de conseils ; mais personne ne l'est suffisamment pour lui-même ...

L' Homme détrompé [ El Criticon, 1651] tient du roman allégorique et du conte philosophique .

Art et Figures de l' Esprit [ 1648 ] où l'on explique tous les modes des diverses figures par des exemples choisis dans tout ce qui se put de mieux dire tant dans le sacré que dans le profane .

Lecteurs de "Savoirs et Réflexions" , nous vous proposons ici de prendre connaissance d'un ouvrage à acquérir [vendu 33 euros] ou à se procurer en bibliothèque , où sont réunies les principales œuvres de BALTASAR GRACIAN . C'est un livre admirable, publié aux Éditions du Seuil, 2005, Traités Politiques, Esthétiques, Éthiques , traduits de l'espagnol, introduits et annotés par BENITO PELEGRIN, un des spécialistes européens les plus connus de GRACIAN à qui il a consacré un doctorat d'État .

" ~Étoile de première grandeur ~ , [qui l'utilise, comme plus tard selon Lacan, nous dit l'auteur , à côté de la RochefoucauldMolière, Nietzsche ], Dans la tradition des moralistes européens, Baltasar Gracian est surtout connu pour sa réflexion subtile et profonde sur les arcanes ( les secrets, les mystères qu'elles présentent pour le profane) de la vie sociale et pour les conseils de comportement qu'il donne, dont l'homme politique ou le professionnel d'aujourd'hui peuvent tirer beaucoup de profits" .

Dans ses conseils aux lecteurs en préface du livre , Le Héros , Gracian s'exprime ainsi :

" Que je te désire singulier ! J'entreprends de former, avec un livre nain, un homme géant , avec de brèves périodes, des faits immortels et en tirer un homme supérieur, c'est-à-dire un miracle de perfection, un roi, sinon par nature, par ses qualités, ce qui est un avantage .
Sénèque,[ l'homme politique, écrivain et philosophe romain ] le fit prudent (prudence : attitude d'esprit de celui qui, réfléchissant aux conséquences de ses actes, prend ses dispositions pour éviter des erreurs, des malheurs possibles, s'abstient de tout ce qu'il croit pouvoir être source de dommages ) ; Esope, [ fabuliste grec] sagace ( "avoir du flair", doué de perspicacité, [esprit pénétrant et subtil] et d'intuition ) ; Homère, belliqueux ( agressif, qui aime la guerre, est empreint d'esprit guerrier) ; Aristote, philosophe (personne qui montre de la sagesse, du détachement et un certain optimisme, qui élabore une doctrine philosophique ) ; Tacite, politique (habile dans les relations humaines , manière concertée de conduire les affaires) et le Comte [ Baldassare de Castiglione, l'auteur du Courtisan], courtois (qui est très poli, avec raffinement) .

Moi, copiant quelques principes de si grands maîtres, j'essaie de l'ébaucher héros et universel prodige . Pour cela, j'ai forgé ce miroir manuel avec ces faveurs d'autrui et mes erreurs à moi . Parfois, il te flattera, il te corrigera parfois : tu y verras ou ce que tu es déjà ou ce que tu devrais être .
Tu trouveras ici non un traité de politique ni d'économie mais une raison d'État de toi-même, une boussole pour naviguer vers l'excellence, un art d'être éminent avec à peine quelques règles de sagesse .

J'écris bref parce que tu en sais long ; court, car je suis limité .
Je ne veux pas t'arrêter davantage pour que tu ailles plus loin ."


Dans ses conseils au lecteur , dans un deuxième ouvrage : Art et Figures de l'Esprit [1648], il cherche à lui faire comprendre l'objet de ses préoccupations en vue de le former à l'exercice d'une réflexion profonde ; voici le texte présenté par Benito Pelegrin :

"J'ai consacré quelques-uns de mes travaux au jugement et, naguère (il y a peu de temps, récemment; ce terme diffère de jadis: dans le temps passé, il y a longtemps, autrefois) , à l'Art de la Prudence ( attitude d'esprit de celui qui, réfléchissant aux conséquences de ses actes, prends ses dispositions pour éviter des erreurs, des malheurs possibles, s'abstient de tout ce qu'il croît pouvoir être la source de dommage ) : je dédie celui-ci à l'Esprit, à l'art de l'acuité (finesse et pénétration intellectuelle, facilité à comprendre, à connaître, perspicacité ; qui est la manifestation à travers laquelle on peut juger de l'esprit de quelqu'un ... C'est un acte de l'entendement , un concept , qui exprime la correspondance qui se trouve entre les objets . Il faut que l'expression verbale de cette correspondance soit belle, harmonieuse et satisfaisante pour l'entendement : ~ Ce qu'est la beauté pour les yeux, l'harmonie pour les oreilles, ce concept doit l'être pour l'entendement ~ . Parfois, il a le sens , pour Gracian , de "réflexion", de "concept" abstrait ) , théorie flambant neuf car, bien que certaines de ses finesses se puissent entrevoir dans la Rhétorique, ce ne sont, au plus, que de vagues lueurs : pauvres orphelines que, dans l'ignorance de leur véritable mère, on croyait filles adoptives de l'Eloquence .
L'acuité se sert des tropes (mots ou expressions détournés de leur sens propre ) et figures rhétoriques comme d'instruments pour exprimer savamment ses concepts , mais ils s'arrêtent là où l'acuité commence et n'en sont que les fondements matériels, au plus, des ornements de la pensée .
J'ai recherché la variété des exemples : ni tous sacrés ni tous profanes, les uns relevés, les autres communs ; soit pour leur beauté, soit pour leur douceur, principalement pour la diversité des goûts de ceux pour qui je les ai préparés . Le prédicateur estimera le trait substantiel de Saint Ambroise (haut fonctionnaire de l'Empire Romain) ; l'humaniste, celui, piquant, de Martial (poète latin) . Le philosophe trouvera la prudente sentence de Sénèque ; l'historien , la pointe maligne de Tacite ; l'orateur , la subtilité de Pline (naturaliste romain) ; et le poète, le brillant d'Ausone (poète latin) , car celui qui enseigne est débiteur universel .

J'ai pris les exemples dans la langue où je les ai trouvés, car si le latin s'enorgueillit de l'éminent Florus ( historien latin) , l'italien le peut bien de la vaillance du Tasse ( poète) , l'espagnol, de l'élégance de Gongora (poète de Cordoue) , et le portugais, de la douceur de Camoens ( poète) . Une explication précède les exemples en langue étrangère, notamment la récente traduction, si serrée, de Martial et d'autres latins par notre élégant Aragonais, don Manuel de Salinas, chamoine de la cathédrale de huesca . Si je fréquente les Espagnols, c'est parce que le bel esprit prévaut chez eux tout comme l'érudition chez les Français, l'éloquence chez les Italiens et l'invention chez les Grecs .
J'aurais pu donner à ce volume la forme de quelque allégorie, soit en assaisonnant un festin où chacune des Muses eût servi, en un aimable plat, sa spécialité en figures de l' Esprit ; soit en dressant une nouvelle montagne de l' Esprit, rivale du Parnasse, avec ses neuf Piérides, ou de quelques autre agréable invention ; mais je me suis laissé guider par le génie espagnol, par son sérieux et par sa liberté dans le discours . Quand la forme ne contenterait pas, les matériaux le peuvent bien : une telle abondance de traits si brillants, de si belles sentences vaut largement le prix et le temps consacré .

O toi, mon livre, bien que ta nouveauté et ta délicatesse te garantissent d'avance la curiosité sinon l'admiration du public, prie malgré tout le ciel de t'accorder le bonheur d'un lecteur qui te comprenne !"

Bien à vous, Gerboise .

samedi 2 août 2008

Histoire de la langue et de la littérature françaises : 3 - La prose du XVIe siècle, (suite n° 2, du 27-07-2008 )

Auteur de nombreux traités, Ambroise Paré [1509-1590] fut le chirurgien de Henri II, Charles IX et Henri III . Il eut l'idée d'utiliser la ligature des artères, qu'il substitua à la cautérisation lors d'une amputation .
L'apparition de maladies nouvelles - comme la syphilis importée d'Amérique - et de blessures nombreuses dues à l'emploi de l'arquebuse dans les combats firent progresser les méthodes de la médecine et de la chirurgie . Les traités concernant ces disciplines, - tel celui de la représentation : la gravure ci-dessus ( clic gauche pour l'agrandir, puis clic gauche sur page précédente pour revenir au texte ) - se multiplièrent et leur diffusion facilita les progrès des sciences médicales .


Avec la Renaissance, sous l'influence des chefs-d'œuvres de l'antiquité, des controverses religieuses et des luttes politiques, la pensée française s'éduque et se mûrit . La prose se fait plus ample et plus oratoire, à l'imitation de la phrase latine . La langue s'enrichit, mais avec plus d'abondance que de goût et de mesure .

*) Les conteurs : Le conte du Moyen Âge s'élargit et se prête à l'expression personnelle des sentiments de l'auteur . C'est ainsi qu'il nous apparaît dans l' Heptaméron de la reine Marguerite de Navarre [ 1492-1549] , et les oeuvres de Bonaventure Des Périers [ 1498-1544] .
Il faut mettre au-dessus de tous Rabelais [ mort en 1553] , qui dans ses romans, bouffons de Gargantua et de Pantagruel , souvent grossiers, mais toujours pleins de vie, s'est montré un très grand écrivain par sa verve ( qualité brillante, imagination et fantaisie dans la parole; brio : vivacité, talent) et son invention verbale, en même temps qu'un penseur érudit et hardi dans l'expression des idées générales et de la satire .

**) Les moralistes : C'est à cette époque que l'on commence à traiter en français les grands sujets de religion, de morale, de politique et de science . Les œuvres à retenir sont, en premier lieu, l' Institution chrétienne de Calvin [1509-1564] ; la République de Bodin [1530-1596] ; le Discours de la Servitude volontaire de La Boëtie [1530-1563] ; les Discours du chancelier Michel de l'Hospital [1505-1573] ; et de Guillaume du Vair [1556-1621] ; l'éloquente Satire Ménippée, attribuée à Pierre Pithou [1539-1596] ; le Traité de la Sagesse de Pierre Charron [1541-1603] .

Le chef-d'œuvre de ce temps fut les Essais de Montaigne [1533-1593], livre de critique morale où l'auteur s'étudie lui-même avec une philosophie aimable, un scepticisme résonné, une vaste érudition, un style à la fois grave et libre qui font de son nom l'un des plus grand de notre littérature .

***) Les érudits : C'est en français aussi que les érudits rédigent leur ouvrages . Claude Fauchet, Étienne Pasquier et Henri Estienne [1528-1598] écrivent des traités sur la langue française . Le chirurgien Ambroise Paré [1517-1590] et le céramiste Bernard Palissy [1510-1590] sont de bons prosateurs . D'autres traduisent les anciens, parmi lesquels il faut citer Seyssel, Etienne Dolet, Saliat et surtout Amyot [1515-1593] .
La traduction de Plutarque par Amyot est un livre qui atteint presque au mérite de l'original par la saveur du style, et son influence a été aussi grande que sa réputation .

**** Les Historiens : Dans cette période agitée par les luttes politiques, les auteurs d'histoires et de mémoires abondent et leurs œuvres présentent beaucoup d'intérêt . Citons l' Histoire de mon temps de de Thou [1553-1617], écrite en latin ; l' Histoire Universelle de d'Aubigné [1552-1630], les Commentaires militaires de Montluc [501-1577] ; les Grands Capitaines et les Dames illustres de Brantôme [1540-1614] ; les Économies Royales de Sully [1560-1641] ; les correspondances d'Henri IV .

Dans la suite n° 3, nous présenterons : La poésie au XVIe siècle , avant d'aborder la Renaissance . Bien à vous , Gerboise .