dimanche 21 septembre 2008

Eléments de l'inspiration: "souffle créateur" qui anime tout être qui réfléchit aux arts et à la science; idée, résolution spontanée, soudaine (*).


(*) suite du mercredi 10 Septembre 2008 . Nous poursuivons nos réflexions interrompues ce jour-là .

Les choses usuelles ; les connaissances techniques, la nature et ses merveilles, les animaux et le miracle de leur instinct, les hommes et leur activité illimitée, offrent d'amples réservoirs de connaissances, tous féconds pour l'observation et l'élaboration subconsciente des images .
La plupart de ceux à qui échoit ( échoir : être dévolu, attribué par le sort ou par le hasard) le privilège de manier quelque instrument professionnel, méconnaissent l'appoint que leur fournit ce modèle ami de leur destinée . Faute de réflexion , ils échouent à l'envisager tel qu'il est : un admirable moyen d'éducation générale menant de front la pensée et l'action .
Diverses théories philosophiques émises à presque toutes les époques, ont conclu de l'impossibilité de parler à l'impossibilité radicale de penser . Or nous ne saurions sans muscles proférer un son . La contribution primordiale des serviteurs musculaires à notre vie de relation est ainsi mise en lumière, ils apparaissent comme le pivot de tout ce que nous nous approprions de précieux : notre richesse sentimentale et notre clarté intellective . Adieu le muscle, adieu le mouvement et la sensation qui naît de lui, adieu la substance même de l'émotion et l'aliment subtil de nos cogitations .

La logique rationnelle dont nous sommes si fiers est elle-même fille de la technique, première discipline imposée à l'esprit par la rigueur imbrisable des faits .
Combien erronée la supposition que l'on peut intervertir l'ordre naturel des facteurs pédagogiques et négliger le primat concret des sens pour mieux s'adonner à la culture intensive de l'abstrait choisi en lui-même et pour lui-même .
La profondeur, la génialité des facultés abstraites s'inspirent toujours de la justesse de l'observation . Tant vaut le point de départ, tant vaut le point d'arrivée .

L'esprit ne saurait être envisagé comme une entité indépendante du corps . Tributaire des sens et partant du muscle, la conscience reçoit de ces intermédiaires des données essentielles . Sur la toile de fonds qu'est le jeu musculaire, l'ébat de nos cinq sens vient dessiner de captivantes arabesques . C'est ainsi que le sport, physiologiquement compris et dépouillé de la vanité des records, ou des erreurs d'excès, se révèle un moyen d'éducation des réflexes, un stimulant pour l'auto-culture et l'enrichissement psychologique, voire littéraire .
Monsieur Henry de Montherland leur doit, pour ne citer que celui-là, la meilleure part de son inspiration .

Partout dans l'enseignement officiel, des esprits avisés crient haro (dénoncer à l'indignation de tous) sur les méfaits de l'abstraction à outrance (exagération) . L'absurdité apparaît manifeste d'un savoir verbal et mnémonique (qui à rapport à la mémoire) , scindé (séparé) de l'expérience sensorielle qui en est la source logique . Faute d'avoir pu apprécier l'équivalent olfactif du terme " vireux " (vénéneux) un sujet l'appliquera sa vie durant au rebours de sa signification . La lésion des contresens littéraires n'a pas d'autre origine . Tout intellect privé du point d'appui expérimental, imagine en dehors du réel et par là se fausse irrémédiablement .

Plus d'observation, plus de vérité . C'est donc aux faits qu'il faut revenir, c'est à la réalité qu'il faut puiser . Au XVIIe siècle Bacon le disait déjà et Galilée avant lui, et plus tard tant d'autres encore . L'expérience est la loi, le " Fiat Lux " de tout savoir .

Éduquons nos sens , puisqu'ils nous approvisionnent de richesses intérieures tant émotives que rationnelles . Procédons à une sympathique enquête à travers la nature et le monde animal . Nous nous verrons assiégés tout aussitôt de réflexions innombrables, envahis de suggestions inattendues, pressés, intrigués par de multiples rapports où les disparités et les ressemblances s'accuseront comme deux taches très vives . Notre sens causal s'éveillera, notre intérêt s'aiguisera, et le monde, selon l'aphorisme de Shopenhauer, n'étant en définitive que notre représentation, celle-ci craquera de toutes parts, se dilatera à la mesure illimitée des nouveautés appréhendées . Hors du viel Adam qui sommeille en nous, l'homme nouveau surgira, le surhomme naîtra que l'humanité se doit peut-être de connaître un jour .

L'écueil ( le danger, l'obstacle) de cette méthode serait de conduire par pléthore (excès) de la matière observable, à la dispersion de l'esprit . Mais ce danger se pallie aisément puisqu'il nous est donné de pouvoir limiter l'incontinence naturelle de l'attention, et qu'il est toujours loisible de circonscrire à l'avance, le choix délibéré des sujets d'observation .

Séjournez-vous à la campagne ? Tracez-vous un plan d'études prévoyant pour chaque jour une musardise ( petite promenade en flânant) à travers champs . Destinez-en l'emploi à la perception allègre ( leste, enjouée) et profonde de tout ce qui tombe sous l'un de vos sens, mettons l'ouïe pour la circonstance . Vous comparerez entre eux les sonorités, les crissements, les milles rumeurs et frôlements qui trahissent l'existence des êtres et des choses . Les éléments, le vent, la pluie, le soleil, l'orage ; les animaux, la chouette qui hulule, la grenouille qui coasse ; les voix humaines ; la fraîcheur des timbres enfantins, le ahan (halètement) fourbu du laboureur haletant ; tout se nuancera ( précisera, distinguera) à l'infini pour l'oreille attentive, accumulant des réserves d'impressions prêtes à se muer ( transformer, métamorphoser) tôt ou tard en images littéraires .

Personne ne rit, chante ou pleure avec le même ton dans l'émoi, le même diapason dans la douleur, la même euphorie dans la joie . Il suffit d'observer avec volonté, avec rigueur, avec passion pour moissonner d'inépuisables gerbes où plus tard le souvenir fera son tri, artistement. Dans le plus humble des hameaux, chaque crépuscule, chaque aurore, découvre aux sensibilités tendues, de vierges Amériques inexplorées et tentantes . A nous de stimuler cet appétit sain de la beauté pittoresque ou formelle qui gît enclose au cœur de tout, car il n'est pas de laideur qu'elle ne sache dorer d'un reflet occasionnel . Après avoir ouvert nos oreilles pour mieux entendre, ouvrons aussi nos yeux pour mieux voir .

Ce que l'on aura fait pour l'ouïe, qu'on le fasse pour la vue, l'odorat, le toucher, le goût, etc.
Le choix préalable d'un sens ou d'un ordre de faits n'a rien d'arbitraire . Il introduit l'unité dans la diversité, imprime à la Réalité cahotique le sceau d'une synthèse intelligente, préserve l'attention d'une fatigue papillotante, et provoque dans une direction donnée l'établissement d'une échelle de valeurs .

L'analyse uni-sensorielle canalise en un multiple réseau les sensations de même type qui se coordonnent chacune à notre conscience, y trouvent une place, y reçoivent un nom, s'y colorent d'une harmonie plus vivante, vibrant des résonances qu'elles éveillent au fond de notre âme, s'éclairant d'une qualité intellectuelle que suscitent leurs relations à nos perceptions passées . Une classification basée sur l'exercice d'un sens unique, entraîne les plus heureux résultats, à condition que soit variée, lors de chaque expérience, l'unité de mesure ou plus explicitement, le sens type auquel nous rapportons les observations colligées ( assemblées, réunies) . Aucune dissociation sèchement abstraite n'affirme à ce degré le discernement, ne porte à ce même apogée le goût de l'observation patiente, le besoin de la précision loyale, l'aptitude à la nuance subtile et, partant, l'horreur de l'épithète gauche ou ambiguë, vide ou erronée .

Illustrant d'exemples l'inévitable sécheresse d'un exposé théorique, nous allons produire quelques citations où la théorie soutenue apparaîtra sur le vif . Elles aideront à la démonstration et éclaireront d'évidence la pénombre éventuelle de nos explications .

Voici tout d'abord de Chateaubriand, la description d'une tempête relatée de souvenir, où se retrouve avec le relief évocatoire de l'émotion, l'effervescence écumeuse de la sensation nue .

" J'avais passé deux nuits à me promener sur le tillac au glapissement des ondes dans les ténèbres, au bourdonnement du vent dans les cordages et sous les sauts de la mer qui couvrait et découvrait le pont : c'était tout autour de moi une émeute de vagues . Fatigué des chocs et des heurts à l'entrée de la troisième nuit, je m'allais coucher . Le temps était horrible . Mon hamac craquait et blutait aux coups du flot qui, crevant sur le navire en disloquait la carcasse . Bientôt j'entends courir d'un bout du pont à l'autre et tomber des paquets de cordages : j'éprouve le mouvement que l'on ressent lorsqu'un vaisseau vire de bord . Le couvercle de l'échelle de l'entrepont s'ouvre : une voix effrayée appelle le capitaine ; et cette voix au milieu de la nuit et de la tempête avait quelque chose de formidable . Je prête l'oreille . Il me semble ouïr des marins discuter sur le gisement d'une terre . Je me jette à bas de mon lit : une vague enfonce le château de poupe, inonde la chambre du capitaine, renverse et roule pêle-mêle tables, lits, coffres, meubles et armes ; je gagne le tillac à demi noyé .

~En mettant la tête à l'entrepont je fus frappé d'un spectacle sublime . Le bâtiment avait essayé de virer de bord ; mais n'ayant pu y parvenir, il s'est affalé sous le vent .A la lueur de la lune écornée qui émergeait des nuages pour s'y replonger aussitôt, on découvrait sur les deux bords du navire à travers une brume jaune, des côtes hérissées de rochers . La mer boursouflant ses flots comme des monts, dans le canal où nous nous trouvions engouffrés ; tantôt ils s'épanouissaient en écume et en étincelles ; tantôt ils n'offraient qu'une surface huileuse et vitreuse, marbrée de taches noires, cuivrées, verdâtres, selon la couleur des bas-fonds sur lesquels ils mugissaient . Pendant deux ou trois minutes les vagissements de l'abîme et ceux du vent étaient confondus ; l'instant d'après on distinguait le détaler des courants, le sifflement des récifs, la voix de la lame lointaine . De la concavité du bâtiment sortaient des bruits qui faisaient battre le cœur des plus intrépides matelots . La proue du navire tranchait la masse épaisse des vagues avec un froissement affreux ; et au gouvernail des torrents d'eau s'écoulaient en tourbillonnant, comme à l'échappée d'une écluse . Au milieu de ce fracas rien n'était aussi alarmant qu'un certain murmure sourd pareil à celui d'un vase qui se remplit ...

~Un essai restait à tenter : la sonde ne marquait plus que quatre brasses sur le fond de sable que traversait le chenal ; il était possible que la lame nous fît franchir le banc et nous portât dans une eau profonde : mais qui oserait saisir le gouvernail et se charger du salut commun ?
~Un faux coup de barre, nous étions perdus ...
~Un matelot de New-York s'empare de la place désertée du pilote . Il me semble encore le voir en chemise, en pantalon de toile les pieds nus, les cheveux épars et diluviés,tenant le timon dans ses fortes serres, tandis que la tête tournée il regardait à la poupe l'onde qui devait nous sauver ou nous perdre .
~Voici venir cette lame embrassant la largeur de la passe, roulant haut sur elle-même, ainsi qu'une mer envahissant les flots d'une autre mer ; de grands oiseaux blancs au vol calme la précèdent comme des oiseaux de la mort . Le navire touchait et talonnait . Il se fit un silence profond, tous les visages blêmirent . La houle arrive : au moment où elle nous attaque, le matelot donne le coup de barre . Le vaisseau près de tomber sur le flanc présente l'arrière et la lame qui paraît nous engloutir nous soulève . On jette la sonde, elle rapporte vingt-sept brasses . Un hourrah monte jusqu'au ciel . "

Il sera bon de noter combien dans ce récit les expressions descriptives, loin d'être juxtaposées à la sensation font corps avec elle , apparaissent fondues, chevillées, unifiées aux impressions auditives et visuelles . A noter aussi le changement des temps verbaux, l'emploi du présent à diverses reprises rendant imminente, plus angoissée la notion du péril .

Comparons maintenant le précédent extrait à la facture de Charles Maurras, dans Anthinéa ; nous y reconnaîtrons un même contingent impressif mais l'ambiance va varier, un intellect avide s'en empare pour l'étirer, le laminer, le filigraner de pensée . Ce que nous livre finalement ce cerveau d'élite semble déjà du transformé, une sorte d'équivalent du chyle ( suc formé dans l'intestin grèle) par rapport à l'aliment brut . Mais voici la citation, qu'on en juge . Il s'agit d'une description de la ville de Florence .

" Aussi quand Florence véritable apparut, l'effet de ma surprise ne fut pas médiocre . A l'angle d'une rue obscure qui débouchait sur une place vivement éclairée, j'ai senti comme un coup au cœur la gravité, la force et la majesté florentine . Quel visage sévère, dur, aux traits anguleux et profonds me montra le génial toscan ! D'âpres maison de pierre nue, de hautes façades aveugles, sombres, mortes à tout, brisant ou lassant le regard, hostiles au mouvement de la curiosité, et enfin presque menaçantes : ce sont les palais de Florence . Des points de fer sortent du mur de place en place . Il paraît que jadis on fixait là-dedans des torches . Mais on les dirait tendus contre le passant . Aucune autre saillie . Et des portes épaisses de bois dur ou de fer massif, couvertes de dessins farouches souvent parsemés de gros clous d'un métal qui ne brille pas ."

La sensation primitive se soumet ici au service d'une émotion plus élaborée, se sous-tend à une pensée plus abstraite et cette description que nous regrettons d'écourter dans ce billet, pourrait illustrer tout autre face de la perfection littéraire, , tant apparaît harmonieux le dosage de ses diverses composantes .
La norme intellectuelle revient donc à fabriquer de l'abstrait avec du concret . Inutile d'éluder ou de rechercher des variantes . Il faut se l'adapter ou se résoudre à ne rien produire . On ne commande à la nature qu'en se soumettant à ses lois . Certes il n'est pas assuré que la cargaison adroitement happée par la conscience élabore, un jour, idées ou sentiments, mais le fait apparaît évident que là où il y a production il y a transformation par l'esprit d'une donnée brute ou concrète, la sensation jouant le rôle de boute-feu littéraire .

Si nous recommandons de vivre en symbiose avec l'univers concret, c'est que la sensation vécue s'atteste pour l'esprit une sorte de Jouvence qui constamment le retrempe . La fâcheuse illusion qui consiste à se suralimenter, par voie exclusivement livresque, des sensations d'autrui est un facteur d'appauvrissement mental . Le style est un outil enchanté, serviteur des seules mains qui ont su le forger, il requiert d'être élaboré par chacun avec les matériaux les mieux appropriés à son équation personnelle .

Au rebours de l'abstraction qui souvent dessèche la veine littéraire, anémie l'esprit qu'elle gave, l'ébat dans le concret fortifie et enrichit l'intellection . Multiplions donc les expériences . Nous croyons souvent à une perte de temps, impuissants que nous sommes à suivre le lent cheminement de l'impression au souterrain de l'inconscient, car c'est en lui que s'accumule le "vaste sédiment" des perceptions qu'il nous restitue, à son heure, suivant ses dons, si nous savons favoriser le processus alchimique au fond de ce vivant athanor .

La fonction vitale de l'esprit littéraire consiste à appréhender le contenu concret pour le dissocier et l'informer en combinaisons imaginatives, selon un mécanisme psychique, si l'on peut dire . Un esprit entraîné à une connaissance précise des nuances sensorielles, habitué à soupeser la variété des résistances et des élasticités, accoutumé à évoquer le mot le plus idoine ( qui convient parfaitement) pour signifier le dégradé des lumières, un esprit exercé aux différenciations tactiles, aux particularités auditives, aux dissociations des complexes de saveur ou de senteur ; un tel esprit acquerrait d'emblée une acuité ( caractère intense) et une pénétration bouleversantes .

Mais le sondage laborieux du réel, son investigation patiente, le souci de se constituer un terrain primaire, base du futur envol pour des talents éventuels, tout exige que nous explorions les gisements les plus divers, inhabiles que nous sommes à détecter, dès l'abord, les mines susceptibles de valoir à notre inspiration les plu précieuses pépites . Il s'agit ici, la chose va de soi, de se familiariser avec le monde phénoménal , ce réactif de la sensibilité trop méconnu de la pédagogie contemporaine . Qu'on ne nous impute surtout pas de vouloir orienter les esprits vers de multiples disciplines .
Nous désirons tout simplement insuffler chez nos lecteurs, le désir de s'instruire et surtout de dominer, de comprendre le savoir en acquérant une "disposition d'esprit", une présence d'esprit qui guide et mène à la possession d'un esprit critique de bon aloi .

Tout ce qui précède mérite " réflexions " ! Qu'en pensez-vous ? Bien à vous, Gerboise .







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