jeudi 30 octobre 2008

Maladresses dans l'utilisation de notre langue française : Mise en garde et conseils en vue de rédiger ou de lire un texte quel qu'en soit le thème .

La correction, l'exactitude, la conformité (conforme, qui s'accorde avec la réalité envisagée : ce que l'on a désiré exactement communiquer ou ce qui correspond au message de l' auteur du texte consulté , dans notre entendement ) est la qualité fondamentale de l'expression des idées ; mais toute nécessaire qu'elle soit, elle n'est pas suffisante .
Une phrase peut être irréprochable au point de vue grammatical et très mauvaise au point de vue du style . L'expression est le vêtement de la pensée . Or l'étoffe d'un vêtement est parfois excellente, et la façon (travail du tailleur, façonner un tissu) , déplorable : telle une phrase correcte, mais peu élégante .

Nous vous proposons de nous intéresser, d'étudier en quelque sorte, dans ce qui va suivre, l'absence de netteté dans l'expression des idées .

Mais ce n'est pas seulement l'expression qui peut être vague, imprécise, approximative; parfois les idées le sont tout autant . En d'autres termes, il y a lieu de distinguer le manque de clarté tantôt dans le fond, tantôt dans la forme .

Premier cas : Le fond, ce qui fait la matière, le sujet d'un texte .

Le manque de clarté produit surtout l' "obscurité " ( défaut de précision, d'intelligibilité) , relève de l'invention et de la disposition, tout en réagissant habituellement sur l'expression . Telles sont certaines définitions abstruses ( difficiles à pénétrer, à en saisir le sens, la signification ) certaines explications nuageuses . Il est difficile, en effet, de condenser dans une exposition claire des choses qui ne le sont pas en elles-mêmes, et c'est alors que le mot de Voltaire est applicable : " Quand deux philosophes discutent sans se comprendre l'un l'autre, dit-il, ils font de la métaphysique, et, quand chacun en arrive à ne plus se comprendre soi-même, c'est de la haute métaphysique " . A ce compte, bien des écrivains font de la métaphysique sans le savoir . Malheureusement l'obscurité peut envelopper une œuvre tout entière: Héraclius, de Corneille, par exemple, et nous recommandons comme un excellent exercice d'essayer de résumer cette pièce, ou le dénouement de Tite et Bérénice, du même auteur, ou l'Etourdi, ou le Dépit amoureux, de Molière .

Deuxième cas : la forme, manière dont une pensée, une idée s'exprime, opposer la forme au fond, au contenu .

Ici, l'absence de netteté conduit surtout à l' "équivoque" (dont la signification n'est pas certaine et peut s'expliquer de diverses façons, à double sens ) . L'obscurité nous empêche de voir le sens ; l'équivoque, qu'on nomme aussi " ambiguïté ", nous permet d'en voir deux ou davantage (clarté et précision ...) .
La parole si souvent citée : " Ce qui n'est pas clair n'est pas français " pourrait être complétée par l'affirmation inverse : " Ce qui n'est pas français n'est pas clair ." Par conséquent, la plupart des fautes de langue que nous expliciterons plus tard, pèchent aussi contre la clarté, notamment celles qui ont trait à l'emploi des pronoms et des propositions infinitives et participes . Les phrases obscures ou équivoques qui vont être étudiées maintenant ne sont pas absolument incorrectes , mais ...!

Victor Hugo, dans les Burgraves [ III, 4] , prête à l'un de ses héros les paroles suivantes :

"... Sanglant, mais respirant encore,
Tu me tins suspendu hors des barreaux de fer ".

Qui, sanglant ? qui, respirant ? La grammaire dit tu, le contexte dit me . La construction est mauvaise . Cette faute, comme mainte syllepse (figure qui consiste à mettre les mots en rapport non avec d'autres mots suivant les règles ordinaires, mais avec la pensée elle-même ; compréhension, c'est-à-dire figure qui se résume à à faire accorder un mot avec l'idée plutôt qu'avec le mot auquel il se rapporte grammaticalement), s'explique parce que l'écrivain, dans le feu de la composition, ne la suppose pas un instant possible, tellement le rapport de sens lui paraît lumineux entre me d'une part, sanglant et respirant de l'autre . Toutefois, le lecteur peut s'y tromper ; il ne faut donc pas l'exposer à cette erreur . C'est pour cela que tout auteur doit être doublé d'un critique, et cette observation ne s'applique pas seulement aux phrases, mais aussi à la conception, à la composition, etc.

Deux autres exemples nous feront mieux comprendre .

Ferdinand Fabre écrivait à un ami :

" Je travaillerai tant que la victoire me restera . "

Quand on sait que l'auteur débutait alors, on comprend que " tant" est un adverbe signifiant "tellement" ; autrement la phrase pourrait vouloir dire : Je travaillerai aussi longtemps que la victoire me restera ; si elle me fuit, je renonce à écrire .
Elle n'est donc pas assez claire .

Dans un ouvrage excellent, un académicien s'exprime ainsi :

" Voilà la perfection ; et Voltaire l'atteindra, et il l'a atteinte, comme tous ses contemporains, on peut le voir par les lettres de d'Alembert et de Bernis, en sont persuadés ".

A première vue, on croit que Voltaire a atteint la perfection comme tous ses contemporains l'ont atteinte , ce qui ne laisse pas de surprendre ; tandis que l'auteur veut dire comme tous ses contemporains en sont persuadés . Pourquoi donc ne pas réunir directement le sujet et le verbe ? Pourquoi les séparer si malencontreusement par une proposition entière, qu'il serait si facile de rejeter à la fin ?

... Il l'a atteinte, comme tous ses contemporains en sont persuadés, on peut voir, etc...

Pourquoi ? Probablement parce que l'auteur, emporté par la force de sa pensée, n'a pas vu l'équivoque, qui est due, pour une part, au rejet du verbe persuader et pour le reste, au sens peu précis de comme .
Il faut se méfier du mot "comme" , qui se prête aisément à des interprétations opposées .
Voici proposée la mésaventure du pauvre Caboussat, que tout Arpajon écoute comme un imbécile, ce qu'on peut interpréter ainsi :

Comme un imbécile écouterait Caboussat ;
Comme Arpajon écouterait un imbécile .

Nous continuerons à vous entretenir de ces fautes, parfois grossières [et dont nous ne sommes pas nous-mêmes "exempt" (exempter : soustraire à ...), lorsque toute notre attention n'est pas concentrée sur notre texte ], qui désorientent souvent le lecteur plus ou moins attentif . Dans certains de nos prochains billets , nous vous proposerons d'autres sujets de réflexion concernant la clarté de notre langue française .

Bien à vous, Gerboise .

Aucun commentaire: