lundi 4 mai 2009

Bernard Palissy, ce précurseur,cet inventeur de génie,cet autodidacte qui s'est instruit,construit de lui-même,sans maître.Surtout, il fut aussi : *

* un vulgarisateur passionné, un innovateur audacieux, un précurseur révolutionnaire qui apporta à la France et à toute l'humanité, des changements pratiques radicaux , d'avant-garde, dans le monde de l'agriculture dont il transforma les bases de fond en comble, totalement. Il fut également l'initiateur de savoir faire et de savoir être, qui avec le soutient du Roi Henri IV et de son ministre et ami Sully, ainsi que de ses disciples, firent prospérer l'art de vivre dans notre douce France .


Savant passionné, curieux de tout notre monde : naturel, inerte et vivant ; maîtrisant les arts du feu,et ceux du monde agricole .



Ci-dessus, Bernard Palissy brûlant ses meubles pour " cuire " ses émaux .



Ci-dessus, Bernard Palissy donnant une leçon publique sur l'histoire naturelle .

L'aventure de ce personnage légendaire, exceptionnel, admirable a commencé avec la Renaissance .

Il faut situer cette odyssée (cette vie agitée) au cœur d' événements considérables, lourds de conséquences, sans précédents : l'invention de l'imprimerie, les guerres de Religion, les progrès de la Médecine, le règne du Roi François Ier , puis celui de Henri IV . C'est surtout le compagnon de ce dernier et ministre " Sully ",1559-1641, Maximilien de Béthune [duc pair de Sully] devenu surintendant des finances qui gère l'économie du royaume avec sagesse, privilégiant l'agriculture et développant l'élevage du vers à soie [plantation de millions de mûriers] ,qui développe les manufactures, l'artisanat . Il va pousser les paysans à produire plus que nécessaire afin de vendre aux autres pays. Pour cela, il fait augmenter la surface cultivée, fait assécher des marais . Il deviendra le premier Maréchal de France en1634 .

Au cours des guerres faites en Italie sous Charles VIII et François Ier, la noblesse française avait été frappée de l'état florissant de l'agriculture au delà des Alpes, surtout dans le Milanais et dans la Toscane . Elle avait remarqué que les seigneurs italiens, loin de dédaigner la culture de leurs terres, comme cela n'était alors que trop fréquent chez nous, y consacraient leurs soins, leur intelligence, leurs capitaux, et que l'exploitation du sol était pour eux une source de richesse . Cet exemple ne devait pas être perdu ; et d'autant moins que, comme toujours en pareil cas, la France allait être représentée dans ce mouvement pas de fortes et marquantes individualités .

Et d'abord voici l'un des plus vaillants parmi les membres de cette grande dynastie d'imprimeurs érudits " dont les travaux, dit un historien de l'époque, ont fait rejaillir sur la France une gloire comparable, sinon même préférable, à celle des plus illustres capitaines " , voici Charles Estienne, docteur en médecine, profondément versé dans les sciences naturelles, donnant, en 1554, son Proedium rusticum (maison rustique en latin), première œuvre agricole encyclopédique et méthodique publiée en notre pays .

La grande et légitime vogue ( célébrité, popularité) de ce livre s'affirma surtout quand, quelques années plus tard, le docteur Jean Liébault, gendre de l'auteur, en publia la traduction française, avec des additions considérables, sous le titre d'Agriculture et Maisons rustique de Charles Estienne, en laquelle est contenu tout ce qui peut être requis pour bastir (bâtir) maison champestre (champêtre) , prévoir les changements et diversités du temps, médiciner les laboureurs malades, nourrir volaille de toute sorte, dresser jardins, tant potager, médicinal que parterre, gouverner mousches a miel (abeilles) faire conserve, confire les fruits, fleurs et racines, et escorces (écorces) , prépare miel et cire, planter, enter (greffer) et médiciner toutes sortes d'arbres fructiers (fruitiers), faire les huiles, distiller les eaux (jus ) , avec plusieurs portraits d'alambics pour la distillation d'icelles, entretenir les prés, viviers et (estangs) , labourer les terres à graines, façonner les vignes, planter bois de haute fustaye (futée) et taillis, bastir (bâtir) la garenne, la héronnière et le parc pour les bestes (bêtes) sauvages ; plus un brief (bref) recueil des chasses du cerf et du sanglier, du lièvre et du regnard (renard) , du bléreau, du connin (lapin) et du loup, et de la fauconnerie .

Cet ouvrage, après avoir eu un grand nombre d'éditions au cours du XVIe et du XVIIe siècle, fut totalement et très habilement refondu vers 1700 par Liger, auteur sur la vie duquel on a aucun détail, mais qui, autant que l'on peut croire, exerçait l'art sur lequel il a écrit en maître . Cette même Maison rustique fut de nouveau remaniée, en 1755, par La Bretonnière, enfin par J.-F. Bastien, en 1798 et 1804 .

Bien venu devait être un tel ouvrage alors que, sur l'exemple rapporté d'Italie, la coutume s'était établie parmi les gentilshommes français de diriger eux-mêmes l'exploitation de leurs domaines .
Et cependant, quelques succès qui répondit à la publication de la Maison rustique d'Estienne et Liébault, quelques nombreuses qu'en dussent être les éditions, c'était encore, nous devons le reconnaître, beaucoup plus œuvre d'érudits, de compilateurs, d'enregistreurs habiles que de praticiens ; car les deux savants auteurs, médecins, imprimeurs, habitant le cœur de Paris, n'avaient guère pu réunir dans leur travail que ce qui leur avait paru digne d'attention dans les divers écrivains des époques antérieures et les remarques consignées dans les meilleurs écrits contemporains .

Livre excellent, précieux sans doute, mais d'une façon toute relative ; mais livre fait surtout avec des livres !

Il fallait plus ou mieux pour ouvrir une ère nouvelle au progrès agricole .

Or,huit ou neuf ans après la publication du Proedium rusticum d'Etienne [1563] et alors que Liébault était à la veille d'en donner la traduction française, voilà qu'en ville de la Rochelle parut un petit livre intitulé :

Recepte (sorte de causerie éparpillée sur mille sujets divers, souvent peu approfondis) véritable par laquelle tous les hommes de la France pourront apprendre à multiplier et augmenter leurs trésors .


Cet opuscule était signé par maistre Bernard Palissy, de Saintes, ouvrier de terre et inventeur des rustiques figulines du Roy .

Ouvrier de terre : est-ce à dire paysan ou laboureur ? Non, c'est-à-dire potier . Inventeur des rustiques figulines ( du latin fiigulinae, ouvrages de poterie . Rustique doit s'entendre, se comprendre, de ce que la plupart des pièces étaient ornées des choses qu'on trouve à la campagne : fruits, fleurs, coquilles, poissons, reptiles, etc. ) du Roy, c'est-à-dire fabriquant, modeleur de poteries émaillées, si artistement belles dans leur rustique ordonnance, qu'elles ont valu à leur auteur le titre que nous lui voyons prendre et qui équivaut à celui de " fournisseur des ornements céramiques des demeures royales " .

Alors en quoi nous peut intéresser l'écrit ce potier, et quelle recepte nous saurait-il offrir qui ne fût purement professionnelle ?

Ne préjugeons rien cependant . Ouvrons le livre .

Le livre ouvert, nous voyons qu'en faisant dialoguer deux personnages presque à bâtons rompus ( avec des interruptions, de manière peu suivie) , l'auteur, dans une langue ravissante de franche et énergique naïveté, touche à toutes les questions d'économie rurale, avec cette simplicité magistrale, imposante, qui est celle des hommes de génie ; et aussi bien, en passant, aborde-t-il d'aventure maint grand problème scientifique qui, obscur jusque -là se trouve tout à coups éclairé d'une lueur si vive, qu'il faudra encore au moins deux siècles avant que d'autres puissants esprits, guidés par cette lumière éblouissante pour les regards vulgaires, proclament les vérités qu'a entrevues cet étonnant précurseur .

Qu'est donc cet homme ? d'où vient-il ? au sein de quelle école fut-il nourri ?

Il est né de très pauvre gens qui ont pu tout au plus lui faire apprendre à lire ; puis il a été élève arpenteur et arpenteur en titre . Et tout en levant des plans ou mesurant des terrains pour ceux-ci, pour cela, il s'est formé tout seul dans le dessin, dans la peinture, en même temps que dans l'art de poterie, pour les progrès duquel il a été pris d'un zèle tel, qu'après maint (de nombreuses fois ) essai ruineux, après mainte déception cruelle, un jour que le bois lui manquait pour mener à fin une fournée d'expérience décisive, il n'hésita pas à faire feu des quelques meubles qui restaient encore dans son pauvre logis .

Mais enfin il a réussi, il a inventé de toutes pièces un art particulier, personnel : il a créé ces rustiques figulines qui surprennent, émerveillent autant par l'originale pureté de la forme que par l'harmonieuse magie du coloris .

Son but est donc magnifiquement atteint, et il devrait suffire, semble-t-il, à ce potier qui a fait tant d'effort pour devenir un artisan hors ligne, d'exploiter fructueusement les procédés qu'il a découverts, perfectionnés, en se parant du titre exceptionnel qui lui a été concédé par faveur royale ; et d'autant mieux qu'il n'est plus à l'âge ordinaire des grandes ambitions, car, né au commencement du siècle, la cinquantaine est déjà sonnée depuis longtemps pour lui .

Mais non ! car il n'est pas de ces esprits qui se bornent à suivre une seule visée, qui laissent le succès prescrire des limites à leur essor .

Tout en s'appliquant avec une ardeur inouïe à ses travaux polyvalents et recherches en céramique, le potier n'a pas pour cela discontinué les études qui depuis l'âge de raison lui sont coutumières .

Et quelles études ?

Étant autodidacte ! il n'avait aucune idée théorique préconçue, il ne parlait pas d'après autrui, mais uniquement d'après lui-même .

" Ne sachant ni grec, ni latin, nous dit-il, n'étant ni docteur, ni grammairien, je n'ai eu d'autre livre que le ciel et la terre, lequel est connu de tous : car à tous est donné de voir et de connaître ce beau livre . Au surplus, je me suis toujours donné garde d'ennuyer mon esprit des sciences faites aux cabinets d'étude par une théorie imaginative, trouvée dans les écrits de ceux qui ont rien pratiqué ; et toujours je me suis donné de garde de croire les opinions de ceux qui disent et soutiennent que la théorie a engendré la pratique "
.

Tout l'homme est dans ces quelques lignes,

et avec cet homme d'ailleurs tout l'esprit scientifique moderne, qui proclame comme premier principe de porter la lumière de l'examen, de l'expérience sur les moindres assertions des devanciers ( au contraire de l'esprit scientifique, qu'on pourrait qualifier aveugle et immobile, qui pendant tout le Moyen Âge accepta, presque sans contrôle aucun, les anciennes données, par respect pour un maître qui le plus souvent les avait acceptées telles quelles d'un devancier, sans les soumettre à aucun examen, sans regarder et connaître la Nature ), et qui consacre surtout l'utilité de cette grande et fortifiante lecture que le potier avait coutume de demander à son beau livre : le ciel et la Terre . Donc un jour, sa réputation professionnelle établie, Bernard Palissy fut poussé à dire ce qu'il avait lu ainsi . Et alors il écrivit, il publia cette Recepte véritable, cent cinquante pages tout au plus, mais où foisonnent la profonde observation et le conseil magistral .

C'est en devisant simplement, naïvement, pourrions-nous dire, c'est en communiquant au lecteur l'impression qu'il ressent, l'émotion qui le gagne en regardant la nature et les choses naturelles, que ce voyant dévoile les grandes et les petites vérités jusqu'à lui inaperçues, et formule les préceptes d'ensemble et de détail .

Au total, cette recette, qui doit permettre à tous de multiplier leurs trésors, n'est autre que l'art de travailler la terre d'une façon intelligente et rationnelle ;

Écoutons, par exemple, le potier de Saintes traduire à la fois et le pieux respect que lui inspire la grande nourricière du genre humain et l'indignation qu'il éprouve de la voir livrée aux mains des routiniers .

" Je te le dis, il n'est nul art au monde pour lequel soit requis une plus grande philosophie[science] que l'agriculture ; et je te dis que si l'agriculture est conduite sans philosophie, c'est autant que journellement violer la terre et les choses qu'elle produit ; et je m'étonne que la terre et ses produit ; ne crient vengeance contre certains meurtrisseurs, ignorants et ingrats, qui journellement ne font que gâter et dissiper et planter sans aucune considération . Les actes ignorants que je vois tous les jours commettre en l'art d'agriculture m'ont fait plusieurs fois me tourmenter et colérer en mon esprit, parce que je vois que chacun tâche à s'agrandir et à chercher des moyens pour sucer la substance de la terre sans y travailler " .

Écoutons l'homme pratique, l'économiste rural :

" Quand tu vas par les villages, considère un peu les fumiers des laboureurs ; tu verras qu'ils les mettent hors de leurs étables, tantôt en lieux hauts, tantôt en lieux bas, sans aucune considération ; qu'ils soient empilés, il leur suffit ; et puis prendre garde au temps des pluies, et tu verras que les eaux qui tombent sur lesdits fumiers emportent une teinture noire en passant par-dessus ; et les eaux qui passeront sur lesdits fumiers emporteront la-dite teinture, qui est le principal et le total de la substance bonne du fumier . En quoi alors le fumier ainsi lavé et porté aux champs peut-il servir, sinon de parade ? car, ainsi que le poisson salé qui trempe longtemps dans l'eau perd son son sel et n'a plus de saveur, ainsi les fumiers perdent leur sel . "

Voici maintenant le physiologiste en contemplation devant les phénomènes de la vie végétale .

" M'allant promener, j'allais considérant les merveilleuses actions que le souverain a commandé de faire à la nature, et entre autres les rameaux des vignes, des pois ( également les ignames, tubercules originaires d'Afrique) , lesquelles semblaient qu'ils eussent quelque sentiment et connaissance de leur débile nature . Je voyais un nombre des dits rameaux qui n'avaient rien à quoi s'appuyer et jetaient en l'air leurs petits bras, pensant empoigner quelque chose pour soutenir la partie de leurs dits corps ; alors je venais présenter certaines branches et rameaux ; et, ayant fait cela le matin, je trouvai au soir que les plantes susdites avaient jeté et entortillé plusieurs de leur bras à l'entour des petits rameaux ".

" Ayant passé plus outre (allé plus loin, au delà,continué à faire, en plus de cela) , j'aperçus certains arbres fruitiers qu'il semblait qu'ils eussent quelque connaissance, car ils étaient soigneux de garder leur fruit comme la femme son petit enfant . Je vis la vigne, le concombre et autres, qui s'étaient fait certaines feuilles desquelles ils couvraient leurs fruits, craignant que le chaud ne les endommageât ; je vis les rosiers et groseilliers qui, afin de défendre leurs fruits contre ceux qui les voudraient ravir, s'étaient fait des armures et épines piquantes au-devant des dits fruits . "

Et c'est ainsi que tour à tour pénétrant, subtil, précis, attendri, toujours lucide et persuasif, il exhorte à la rénovation de l'art agricole, montrant aux routiniers les avantages de l'examen, reprenant les gentilshommes pauvres qui, ~ endettés jusqu'aux oreilles ~, se croiraient devenus vilains parce qu'ils auraient un peu manié un ferrement ( fait de ferrer un cheval ) d'agriculture ; conseillant au roi de créer certains états, offices et honneurs pour tous ceux qui inventeraient quelque bel et subtil engin pour le travail des champs ; déplorant que, si les armuriers changent souvent les façons des hallebardes, épées et autres harnois, l'agriculture, en son ignorance si grande, demeure toujours à une mode accoutumée et garde " lourds les ferrements qui étaient lourds au commencement : - nul enfant de bonne maison ne se trouvait pour étudier à inventer des outils convenant mieux au labourage, tandis que tant et tant savent s'étudier à faire découper du drap aux diverses modes étranges " ; enfin appelant de tous ses vœux le jour où, les hommes " apportant autant de zèle et affection au labeur de la terre qu'ils en ont pour acheter les offices, bénéfices et grandeurs, la terre sera bénite ainsi que le travail de celui qui la cultivera " .

Que de conseils, les avertissements contenus dans l'opuscule publié en un coin assez retiré de la France aient aussitôt trouvé beaucoup d'écho, il ne faudrait pas l'affirmer ; mais, quelques années plus tard, le potier, quittant sa province, vint à Paris, et là, non seulement il publia d'autres livres où il faisait prévaloir les mêmes idées, mais encore, pendant dix ans, il fit en langue vulgaire, chose inouïe jusqu'alors - de ces leçons publiques que nous appelons aujourd'hui conférences .

Son auditoire était ordinairement composé de tout ce que l'époque comptait de plus hauts, de plus illustres et de plus intelligents personnages ; Il exposait là, avec une verve entraînante, ses principes, ses vues, sur des questions que nul professeur ne traitait aux écoles, car elles appartenaient à des sciences qui littéralement n'étaient pas encore nées : physique, chimie, géologie, minéralogie ; il parlait, - comme il pouvait seul en parler - de tout ce qui touchait aux phénomènes naturels, sans oublier, bien entendu, ces problèmes ruraux qui avaient été des premiers à préoccuper son puissant esprit .

Évidemment, pendant que beaucoup de ses auditeurs s'étonnaient, chez qui l'étonnement provenait d'une difficulté de compréhension, quelques intelligences plus hautes recueillaient, conscientes, ce robuste enseignement .

Quoi qu'il en fût, l'homme de génie allait semant les vérités qu'il voyait et qu'il s'efforçait de faire voir, laissant au temps de mûrir le grain de sa parole souvent incomprise .
A vrai dire le temps où il parlait, où écrivait ce grand initiateur [1563-1585] - époque des plus terribles, des plus sanglantes dissensions civiles - était peu propre à l'efficace diffusion de ses enseignements . Seigneurs et paysans, propriétaires et fermiers étaient plongés en même temps dans la détresse la plus profonde . En beaucoup de contrées, la terre, dit un contemporain, " était laissée, faute de bras et de facultés pour la cultiver " .

Mais enfin [1594] des jours moins rudes commencent . Les destinées du pays sont au mains d'un prince dont le premier ministre - qui est avec lui en parfait accord de vue, - a pour axiome que :

" Labourage et pâturage sont les deux mamelles dont la France doit être alimentée, et les vraies mines et trésors du Pérou "

(allusion aux revenus considérables que les Espagnols tiraient de ce pays depuis le commencement du siècle : richesses toutes factices, dont la trop grande abondance avait tari chez eux toutes les sources du travail national )
.

Henri IV et Sully, qui avaient été élevés au milieu des champs et prisaient fort le travail agraire, connaissaient les vraies bases de la fortune publique .

Ils savaient que la France, par son sol et son climat, pouvait être le premier pays agricole de l'Europe ; et ils comprenaient les conditions essentielles de l'agriculture nationale . Etant tout pénétrés de cette vérité que le labeur des champs a besoin de protection et de sûreté, Henri IV et Sully employèrent tous leurs soins, tout leur pouvoir à délivrer les campagnes du fléau de l'anarchie et de celui des vexations qu'engendre un mauvais système fiscal . Renouvellement de déclaration de l'inviolabilité du laboureur et de ses instruments ; ordonnances sévéres contre les bandes armées désolant les campagnes, et même autorisation aux paysans de leur courir sus ; remises ou répartitions plus équitables des tailles ; châtiments des exacteurs fiscaux ; travaux de dessèchement des marais ; primes aux défricheurs de jachères ; créationde routes, chemins et canaux ; édits contre l'usure, etc.

L'auxiliaire, le conseiller le plus ardent de toutes les mesures qui pouvaient être favorables à l'agriculture était un contrôleur général du commerce nommé Barthélemy Laffemas . Nous ne serons pas étonnés d'apprendre que ce digne fils de ses œuvres, ce vaillant ami du bien public, n'était autre qu'un des disciples les plus fervents, les plus dévoués de Bernard Palissy .Les progrès de l'agriculture se poursuivirent dans tout le royaume . La paix était venue et le bruit de ces heureux développements se répandit en hauts et bons lieux .

Comment ? par qui arriva-t-il ? Ce ne serait pas se hasarder beaucoup que de faire intervenir ici Laffemas, par cette raison que ce gentilhomme laboureur en ses terres s'était assis jadis aux côtés d'Olivier de Serres, seigneur de Pradel dans le Vivarais, aux conférences de Bernard Palissy. Tous deux originaires du midi de la France, épris de la même passion du bien et disciples du même Maître, et du même amour de la terre, un lien très fort devait exister entre eux . Toujours est-il que, présenté à Henri IV en 1598, Olivier de Serres détachait d'abord, à sa prière (demande) , de son travail, pour le rendre public, le chapitre traitant de la culture du mûrier et de l'éducation des vers à soie ; et que, l'année d'ensuite (suivante) , quand le roi - qui prévoyait par là un brillant avenir pour les manufactures françaises - eut résolu de répandre partout où elle serait possible cette culture et cette industrie, Olivier de Serres fut chargé de recueillir les plants de mûrier qui devaient être plantés dans les jardins royaux, et notamment aux Tuileries .

Enfin, au cours de l'année 1600, parut, imprimé aux frais du roi - qui chaque jour, pendant plusieurs mois, se faisait apporter ce livre, " où il lisait une demi-heure, après son dîner " - le Théâtre d'agriculture et ménage des champs, par Olivier de Serres, seigneur de Pradel ; ouvrage considérable, qui non seulement résumait toutes les profitables découvertes faites jusqu'alors en agriculture, mais encore, de l'aveu universel, effaçait toutes les publications antérieures, tant par le profond savoir théorique que par la précision et la clarté des enseignements pratiques .

Bernard Palissy avait tracé d'ensemble, au point de vue philosophique en quelque sorte, la voie à suivre pour créer une science agricole positive et définitive ; Olivier de Serres, illustre disciple d'un illustre Maître, Bernard Palissy, réalisait l'oeuvre que celui-ci avait rêvée et initiée .

A Olivier de Serres revient donc la gloire, que d'ailleurs nul ne lui conteste, d'avoir inauguré l'ère nouvelle de l'art des champs .

Nous terminerons cette narration en relatant ce nous connaissons des qualités de ce personnage " hors norme " que fut Bernard Palissy .

- D'abord son caractère d'autodidacte , car il a construit lui-même son rapport à la connaissance des choses et des êtres, surtout celle liée au règne végétal (agricole) : il n'a pas été " stérilisé ",perverti, par des études classiques .
- Passionné, curieux de tout, son esprit était ouvert à l'ensemble les connaissances .
- cette coordination, cette symbiose presque intime avec le pouvoir royal, firent que ses concepts furent mis en pratique sur le champ grâce à un homme ouvert et responsable : homme de terroir , ami de jeunesse du roi : Sully
.

Bernard Palissy était le type de personnage dont l'unique motivation était la mise en place immédiate des résultats de ses" activités " . Porteur d'excellents principes qu'il était constamment prêt à inculquer aux autres, il s'était révélé être d'une très grande efficacité ; peu influençable, il ne cédait qu'à des arguments massifs, péremptoires (qui détruisent d'avance toute objection, contre quoi on ne peut rien répliquer) et répétés .

Il a su résoudre immédiatement des problèmes d'une extraordinaire complexité . En possession d'une intelligence analytique, il a su entrer dans les détails significatifs et chercher le fait " efficient ", toujours pour le meilleur de la cause en question, car il était un constructeur né . Étant mentalement très " charpenté " ! , il avait une mémoire redoutable, une curiosité infatigable et une vigilance toujours en éveil .

Il annonça un monde agricole nouveau et, en cela, il fut un précurseur plein de génie comme d'ailleurs dans toutes les aventures qu'il entreprenait .


Les échecs étaient pour lui tonifiants . Sa chance, il n'en parle pas, il la " bouscule " , ou l'ignore : il a réussi son œuvre " à la force de son esprit et de ces poignets ".

Il a su aller jusqu'au bout de ses idées, créateur, annonceur d'une ère nouvelle, ce fut un " immense ingénieur " et un Savant toujours en avance sur son temps . C'est en cela qu'il honora notre douce France .

Bien à vous
, cordialement ,Gerboise .




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