mercredi 10 février 2010

Paul Valéry : " Je n'hésite jamais à le déclarer, le diplôme est l'ennemi mortel de la culture " .*


* Oui,c'est une vérité évidente, incontestable, mais, dans notre environnement actuel,[ indépendamment des arguments impérissables (qui se dit que des choses qui ne cesseront pas d'exister, en fait ou dans la mémoire des hommes) , indéfectibles (qui ne peuvent cesser d'être) , présentés ci-après par Alain ] , il ( ce diplôme) est cependant nécessaire, indispensable, incontournable, [même pour un technicien de surface] car en l' absence de cette " épreuve " (de cet examen permettant d'obtenir ce diplôme) de ce " challenge " , de cette compétition, de ce " défi " , vous serez rarement pris en considération, sélectionné, apprécié ; de plus si vous êtes, malgré l'absence de ce " morceau de papier " ! , retenu occasionnellement, par les hasards de la vie, vos revenus seront sans consistance, insignifiants, sans stabilité , en deux mots : vous serez, à n'en pas douter, inévitablement " exploité ".


Paul Valéry, 1871-1945, écrivain français, grand liseur, amateur de poésie, il poursuivit à Paris des études sans éclat, par " horreur des choses prescrites " . Élu à l'Académie française en 1925 , nommé professeur de poétique au Collège de France en 1937 . Étudiant, il fut attiré par la poésie symboliste ; curieux d'art et de science, de psychologie et de droit, requis par l'amour, l'amitié et le besoin de créer, fasciné enfin par l'exactitude des techniques, à l'écrivain universellement célèbre, absorbé par les travaux de commande et les servitudes de la notoriété, l'unité profonde échappe à toute définition simple . Plus que ses textes publiés, les Cahiers, longtemps tenus secrets et qui traversent une période de silence apparent, témoignent de ses thèmes privilégies : la psychologie [ l'attention, le rêve] , le langage et la création poétique, le temps, le destin des civilisations et l'histoire, l'art, le calcul et l'action réglée sur les choses, la technique . Essayiste, Valéry énonça et analysa avec une lucidité, une intelligence et une force d'expression quasi constantes les conditions de toute activité mentale . Peu sensible à l'influence des principales philosophies modernes, influencé par la pensée bergsonienne .
Valéry occupe cependant, surtout par les Cahiers, une place éminente dans la philosophie du langage et dans la théorie littéraire, comme en épistémologie . Le caractère isolé de ses recherches, à l'écart des sciences constituées pour lesquelles il professait une saine méfiance , ne doit pas en masquer l'importance .


Ce jugement de Paul Valéry figure dans " Bilan de l'intelligence " . Il s'agit d'une conférence prononcée à l'Université des Annales le 16 janvier 1935 . Le texte a ensuite été repris dans Variété III .

Après avoir montré que l'avenir de l'intelligence dépend de l'éducation et écarté, dans ce domaine, tout ce qui ressemble à un endoctrinement, Valéry s'arrête sur la nature de l'enseignement dans son pays .

Il constate que la hantise du diplôme contribue à dévoyer le projet éducatif :

" Il est cependant un point où tout le monde s'entend, s'accorde déplorablement . Disons-le : l'enseignement a pour objectif réel le diplôme .

Je n'hésite jamais à le déclarer, le diplôme est l'ennemi mortel de la culture .

Plus les diplômes ont pris d'importance dans la vie [ et cette importance n'a fait que croître à cause de circonstances économiques], plus le contrôle s'est exercé, s'est multiplié, plus les résultats ont été mauvais "
.


Mauvais par ses effets sur l'esprit public et sur l'esprit tout court . Mauvais parce qu'il crée des espoirs, des illusions de droits acquis . Mauvais par tous les stratagèmes et les subterfuges ( moyens habiles et détournés pour se tirer d'embarras, stratagèmes) qu'il suggère ; les recommandations, les préparations stratégiques, et, en somme, l'emploi de tous les expédients ( mesures qui permettent de se tirer d'embarras momentanément) pour franchir le seuil redoutable . C'est là, il faut l'avouer, une étrange et détestable initiation à la vie intellectuelle et civique .

D'ailleurs, si je me fonde sur la seule expérience et si je regarde les effets du contrôle en général, je constate que le contrôle, en toute matière, aboutit à vicier l'action, à la pervertir ... Je vous l'ai déjà dit : dès qu'une action est soumise à un contrôle, le but profond de celui qui agit n'est plus l'action même, mais il conçoit d'abord la prévision du contrôle, la mise en échec des moyens de contrôle . Le contrôle des études n'est qu'un cas particulier et une démonstration éclatante de cette observation très générale .

Le diplôme fondamental, chez nous, c'est le baccalauréat . Il a conduit à orienter les études sur un programme strictement défini et en considération d'épreuves qui, avant tout, représentent, pour les examinateurs, les professeurs et les patients, une perte totale, radicale et non compensée, de temps et de travail . Du jour où vous créez un diplôme, un contrôle bien défini , vous voyez aussitôt s'organiser en regard tout un dispositif non moins précis que votre programme, qui a pour but unique de conquérir ce diplôme par tous moyens . Le but de l'enseignement n'étant plus la formation de l'esprit, mais l'acquisition du diplôme, c'est le minimum exigible qui devient l'objet des études . Il ne s'agit plus d'apprendre le latin, ou le grec, ou la géométrie . Il s'agit d'emprunter, et non plus d'acquérir, d'emprunter ce qu'il faut pour passer le baccalauréat .

Ce n'est pas tout . Le diplôme donne à la société un fantôme de garantie, et aux diplômés des fantômes de droits .

Le diplômé passe officiellement pour savoir : il garde toute sa vie ce brevet d'une science momentanée et purement expédiente ( qui convient pour la circonstance) . D'autre part, ce diplômé au nom de la loi est porté à croire qu'on lui doit quelque chose. Jamais convention plus néfaste à tout le monde, à l'État et aux individus, [ et, en particulier, à la culture ] , n'a été instituée . C'est en considération du diplôme, par exemple, que l'on a vu se substituer à la lecture des auteurs l'usage des résumés, des manuels, des comprimés de science extravagants, les recueils de questions et de réponses toutes faites, extraits et autres abominations . Il en résulte que plus rien dans cette culture adultérée ne peut aider ni convenir à la vie de l'esprit qui se développe " . ..


Parlant en particulier du baccalauréat, Valéry constate que le but n'est plus la formation de l'esprit, l'acquisition d'une culture authentique, mais l'obtention du diplôme par tous les moyens .

Un diplôme qui va ensuite être pour toute une vie un garant de savoir .

C'est donc en 1935 que Paul Valéry tirait la sonnette d'alarme quant à l'excessive importance accordée aux diplômes . Les choses ont peu changé depuis, au point qu'on peut se demander s'il y avait lieu de s'inquiéter autant .

Tout en reconnaissant le bien fondé des arguments de Paul Valéry, on est tenté de lui opposer le point de vue de son contemporain Alain .

Pour Alain, tout ce qui concerne le savoir est d'abord une affaire de volonté .

Même pour la mémoire, il s'agit d'abord de vouloir .

Alain, comme Paul Valéry, est pour une formation large, s'appuyant notamment sur la lecture des grands auteurs . Mais il considère que l'examen a du bon parce qu'il met la volonté à l'épreuve . Il écrit par exemple dans son " Propos " du 20 juillet 1926 :

" Les examens sont des exercices de volonté . En cela, ils sont beaux et bons . Ceux qui s'excusent de ce qu'ils sont timides, troublés, vidés par l'angoisse s'excusent très mal ; ces fautes de trop espérer, de trop craindre, enfin de ne point se gouverner virilement, sont les plus grandes fautes et peut-être les seules fautes .
[...]

C'est pourquoi l'épreuve de l'examen est utile et juste ; et en dépit de faciles déclamations, celui qui ne l'a point surmontée n'en surmontera aucune autre " .

Par son caractère impersonnel, l'épreuve de l'examen tranche avec la vie ordinaire . Un père , une mère, un professeur peuvent se laisser émouvoir :

~Mais le problème est sourd et muet ~

Régulièrement, quelques démagogues ( démagogie :politique par laquelle on flatte les passions populaires pour mieux les exploiter) proposent la suppression du baccalauréat en s'appuyant sur des arguments proches de ceux avancés par Paul Valéry[ à quoi il faudrait ajouter la part du non-dit] . Toute personne qui connaît l'enseignement secondaire de l'intérieur sait que cette panacée aurait des effets pervers autrement graves que les maux auxquels elle voudrait remédier .

Et rien ne prouve que les jeunes seraient ravis de voir disparaître cette " épreuve " initiatique (qui introduit à la connaissance de choses difficiles , des premiers éléments d'une science, d'un art) qui leur permet d'entrer dans le clan des adultes .

Nous reprendrons nos réflexions sur ce thème en considérant cette nouvelle affirmation :

La culture, c'est ce qui reste quand on a tout oublié .

Cordialement, bien à vous, Gerboise .

1 commentaire:

Anonyme a dit…

BON DEPART