vendredi 2 avril 2010

Gustave Le Bon et le suffrage universel :Approbation*ou opposition** dans un contexte démocratique***,une foule?; adhésion à une proposition précise .

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* - approbation :adhésion,consentement, le fait d'approuver, accord que l'on donne ; jugement favorable .
** - opposition : manifestation de volonté destinée à empêcher l'accomplissement d'un acte, d'une décision ; contestation et hostilité a une personne, une idée .
*** - contexte : [ ensemble des circonstances dans lesquelles s'insère un fait, une décision] démocratique , milieu, société où on laisse à tous la liberté d'opinion, d'expression ; qui favorise le peuple, la majorité .
Le suffrage universel et Condorcet, philosophe, mathématicien et homme politique français, 1743-1794, membre de l'Académie des Sciences[1769] ;ou comment se pose le problème de l'action collective : comment une décision rationnelle peut-elle survenir, émerger, à partir d'une pluralité ,d'une diversité d'opinion s'exprimant par le vote ?
L'auteur de l' " Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'esprit humain ", 1793, [ texte qui est considéré constituer le testament des Lumières] étudiera ce thème de la diversité d'opinion, du point de vue des probabilités : étant donné que chaque électeur a une certaine probabilité de prendre une " bonne décision " , quelle est la probabilité, la vraisemblance que le corps électoral s'engage collectivement vers une décision avisée, éclairée, sage ; et pour ce faire, quel est le mode de scrutin qui optimisera cette probabilité ?
Condorcet fut un des précurseurs de la théorie de la décision . D'après lui, une décision rationnelle ne peut émerger, naître de la collectivité que si celle-ci est constituée d'individus " suffisamment ( suffire : avoir juste la quantité, la qualité, la force nécessaire pour réaliser quelque chose) instruits . Il engagera toute sa personne , ses actions, en faveur de l'instruction publique, car il fut motivé par ses réflexions mathématiques sur la décision collective et sur l'ensemble des valeurs de l'humanité .


Suffrage universel : étendu à tous les individus [sauf les exceptions prévues par la loi] ; conséquences qui sont communes à tous les hommes ou à un groupe donné; qui peut s'appliquer à tous : la Science est universelle, elle résulte de l'approbation de l'ensemble de la communauté scientifique ; le jugement universel est celui qui s'applique à tous les cas, est vrai partout et toujours .

La foule au sens de Gustave Le Bon :

Un ensemble d'électeurs est une foule, au sens où l'entendait Gustave Le Bon . Cet amalgame, cette comparaison, cette assimilation en quelque sorte peut choquer au premier abord . Cependant il est nécessaire de se rappeler que la foule psychologique n'est pas forcément rassemblée, regroupée physiquement .

Cette collectivité d'électeurs est une foule, une sorte de regroupement devant prendre une décision, établir un choix .

L'effacement, l'évanouissement de la personnalité consciente et l'orientation des sentiments et des pensées dans un même sens, premières caractéristiques, physionomies d'une foule en voie de s'organiser, de se structurer, n'impliquent pas toujours la présence simultanée de plusieurs individus en un même lieu .

Des centaines de milliers d'individus isolés, cloisonnés peuvent à un moment donné, sous l'emprise, l'influence de certaines émotions, de sentiments impétueux [ ainsi ,un événement national considérable ] , acquérir les caractères, les particularités d'un attroupement,d'une foule psychologique . Là, se situe une des découvertes, et si l'on peut dire ainsi ,
un des traits de génie, une des " trouvailles " fondamentales du docteur Gustave Le Bon, un des aspects de sa théorie parmi des éléments les plus susceptibles d'une nouvelle lecture inédite ,actuellement .

Effectivement, quelle remarquable anticipation d'une réalité contemporaine majeure : la " foule téléspectatrice " !

La similitude, la ressemblance mentale des individus rassemblés à la même heure devant le même programme de télévision est une réalité quotidienne de nos jours et dont chacun est en mesure d'apprécier l'importance à la similitude des réactions ou des mœurs, à l'analogie des conversations du lendemain .

Que ce soit un discours électoral, un programme littéraire ou un feuilleton anglo-saxon, nous pouvons dire que l'ensemble des téléspectateurs engendre une foule (une masse, une multitude de gens) devant la " lucarne " , momentanément, parfois même, presque continuellement, rassemblée et soumise aux mêmes influences , à la même emprise( pressions insidieuses ...) .

Bien sûr, le fait que cette dite " foule " ne soit point physiquement rassemblée lui confère des caractéristiques, des particularités notablement différentes de celles, par exemple, de la "foule révolutionnaire " . La contagion, particulièrement, ne se propagera pas de la même façon, aussi brutale et subite .

Cependant ,comment ne pas envisager dans une image de ce type d'événement, de cette foule électorale, justement soumise, dans sa grande majorité, au même " bourrage de crâne " , à la même intoxication, au même " matraquage " publicitaire, promotionnel " télévisé, durant les campagnes électorales, et, parfois même dans leur intervalle . L'ensemble des électeurs est, par son essence, sa nature même, divisé, peut-on objecter .

C'est une réalité . Sur cette foule hétérogène anonyme, mais non rassemblée physiquement, les effets d'une campagne multipartisane et démocratique ne peuvent engendrer l'unanimité . Mais si l'on suppose, dans un autre contexte, qu'à l'inverse l'agent porteur de l'information, -donc l'excitant - soit unique [discours du chef de l'État, par exemple] . Par delà les différences d'opinions, il peut alors se produire un " effet de foule ", d'ailleurs positif ou négatif, en faveur de ce président ou contre ce dernier . Par conséquent, un " oui " massif ou un " non " imposant pourra sortir des urnes [ indépendamment des votes blancs, nuls et des abstentionnistes !] en réponse à un référendum par exemple, sans égard au résultat intermédiaire qu'avait obtenu le parti du président aux précédentes élections législatives .

Le suffrage est un droit, un devoir [pas une obligation en France] . Manié par un " meneur "[ un provocateur] auréolé d'un certain prestige chez certains, il est certainement, également une arme
subversive efficace . Par exemple, le Général de Gaulle saura s'en souvenir, à juste titre parce que l'électorat réagit dans cette circonstance, bien que non rassemblé physiquement sur un site, comme une foule . Le docteur Gustave Le Bon l'avait bien vu, senti, " touché du doigt " . Dans cette circonstance, encore une fois il bouscule les idées reçues comme l'avait déjà défini Condorcet [ philosophe, mathématicien {études des probabilités} et homme politique ] dans ses analyses des scrutins aux temps de la Révolution française .

Le suffrage, le résultat d'élections, qui conduit à une approbation ou à un rejet dans cette offre, ce choix proposé , est l'une de nos institutions majeures : de ce résultat dépend la désignation de nos gouvernants .

Indépendamment de ses conséquences pratiques, il présente également un aspect mythique ;

n'est-il pas habituellement considéré comme la plus grande conquête de la fin du XIXe siècle ?

n'est-il pas le déclin , l'abandon relatif de la désignation arbitraire des " Chefs " ? n'est-ce pas le commencement des règnes des peuples enfin maîtres [relatifs !] de leurs destinées ?

Pourtant, dès son intronisation, le suffrage a provoqué bien du souci à ses défenseurs .

N'est-ce pas ce système de choix qui a porté au pouvoir Louis- Napoléon en 1852, infligeant ainsi aux républicains un Second Empire ?

S'ils avaient pu lire dans l'avenir, les démocrates n'auraient-ils pas été effrayés d'y voir le suffrage universel amener Hitler au pouvoir en 1933 ?

Gustave Le Bon, lui, n'eût pas été étonné . L'élection du second Bonaparte rentre bien dans la ligne explicative de la psychologie des foules . C'est le prestige de son glorieux homonyme qui a séduit les électeurs . Tant il est vrai que " les hommes en foule ne sauraient se passer de maître " et qu'ayant perdu Napoléon, la foule électorale cherchait inconsciemment à le retrouver . Mais pour l'ensemble de la classe politique républicaine des années 1890-1900, il y avait dans les résultats de cette première élection au suffrage universel une évidente " dysfonction " ( trouble dans le fonctionnement) .

Le suffrage, disait-on, était mal rodé, le peuple mal préparé . Ce "dire "qui courrait insidieusement dans certains esprits et se répandait " de part la ville, à travers la nation, montre toute la profondeur de cette mentalité sous-jascente de l'époque et de l'atmosphère délétère, irrespirable, malsaine, qui règne toujours lors des commentaires des résultats des périodes électorales, même de nos jours .

Les idées du docteur Gustave Le Bon ont choqué, indignent toujours actuellement , parce qu'il disait, lui, précisément l'inverse :

Voilà ce qu'est le suffrage et il ne peut en être autrement car l'électorat est une foule .

Nous devons réfléchir à toutes les conséquences de cette déclaration . L'auteur de " La psychologie des foules " dresse dans le chapitre intitulé " La foule électorale " (p. 107) , une véritable liste de " conseils aux candidats " , dont l'apparence des éléments est perfide, même quelque peu machiavélique .

Il est très formateur pour l'esprit, de considérer les conséquences des conseils préconisés par l'auteur de la psychologie des foules . Ces foules électorales, ces foules hétérogènes anonymes, " n'exercent une action que sur un seul point déterminé : choisir entre divers candidats . Lorsqu'on prête attention à ce qu'elles ont de commun avec les caractères des foules hétérogènes anonymes on constate :

" Une faible aptitude au raisonnement, une absence d'esprit critique, une irritabilité manifeste, une crédulité aveugle ( grande facilité à croire) , un simplisme (vice de raisonnement d'un esprit ayant tendance à négliger les faits prépondérants, les choses importantes) lourd de conséquences . On découvre aussi dans leurs décisions l'influence des meneurs et le rôle des facteurs précédemment énumérés : l'affirmation, la répétition, le prestige et la contagion " .


En réfléchissant, on peut prévoir ce qui pourra les fasciner, les attirer : tout d'abord, le prestige . Le docteur Gustave Le Bon précise avec sa finesse habituelle : " le prestige personnel ne peut être remplacé par celui de la fortune . Le talent, le génie même ne sont pas des éléments de succès . Cette nécessité pour le candidat d'être pourvu, investi de prestige, d'ascendant, est capitale . Si les électeurs composés du peuple des petits métiers, des artisans, des gens de la campagne choisissent si rarement un des leurs pour les représenter, c'est que les personnalités sorties de leur rang n'ont pour eux aucun prestige . Ils ne nomment guère un égal que pour contrecarrer un patron puissant ... "


Non seulement le candidat doit être pourvu, "revêtu " de séduction ,de prestige,
mais son rayonnement, ses interventions doivent " surcharger l'électeur ", accabler ce dernier de multiples manières, le bombarder, le submerger de slogans, des plus irrationnelles, extravagantes flagorneries, flatteries, et ne pas hésiter à lui débiter les plus chimériques,invraisemblables, fabuleuses," promesses en l'air " dites de Gascon: en somme, " du vent " .

Il devra enfoncer, écraser le candidat adverse en " démontrant, établissant, par affirmation, répétition et contagion qu'il est le dernier des gredins et que personne n'ignore qu'il a commis plusieurs escroqueries . Si l'adversaire connaît superficiellement ou pas la psychologie des foules, il essaiera de se justifier par des arguments au lieu de répondre simplement aux affirmations calomnieuses par d'autres affirmations diffamatoires, et n'aura, dès lors, aucune chance de l'emporter " .

Ces assertions (affirmations) " machiavéliques " , perfides, dont la justesse est aisément et toujours vérifiables de nos jours à chaque campagne électorale, doivent être complétées par d'autres conseils :

Le programme écrit du candidat ne doit pas être trop catégorique, clair, tranchant, car ses adversaires pourraient le lui reprocher [ il pourrait s'en mordre les doigts plus tard] , mais son programme verbal ne saurait être trop excessif , démesuré ! " Sur le coup " , sur le moment, ces disproportions [exagérations] apportent, produisent une abondance d'effets, mais n'engagent à pas grand chose dans l'avenir .

L'influence, l'action des " mots et des énoncés, des aphorismes " (des sentences) a également une importance non négligeable .

L'orateur, le tribun qui déclame, qui sait les manier, les manipuler, peut conduire certains foules à son gré .

Des expressions telles que : " l'infâme capital, les vils exploiteurs, l'admirable ouvrier, la socialisation des richesses " , produisent toujours le même effet, bien qu'un peu usées déjà .
Mais le candidat qui peut découvrir une formule neuve, bien dépourvue de sens précis et par conséquent adaptable aux situations les plus diverses, obtient un succès infaillible " .

De raisonnement, il n'est pas question .

" Les foules ont des opinions imposées, jamais raisonnées "[ Psychologie des foules p. 109-110] .

A l'époque où écrit notre auteur, l'affaire Boulanger [ le boulangisme : fut l'une des premières crises que traversa le régime républicain] venait comme une démonstration éclatante confirmer la véracité de ces considérations .

" Telle est la psychologie des foules électorales ; elle est identique à celle des autres foules : ni meilleure, ni pire " .

Que faut-il entreprendre à propos du suffrage universel : est-il nécessaire de le transformer
( opérer un changement total de forme ou de manière d'être , donner un autre aspect, changer, modifier ) ou à la limite de l'abolir (mettre hors d'usage ce qui faisait autorité) , l'éradiquer ( supprimer définitivement quelque chose) ?

Sans doute, disait le Docteur Gustave Le Bon , " les suffrages des foules sont souvent bien dangereux " et " les inconvénient du suffrage universel sont évidemment trop visibles pour être méconnus " ...

La grandeur d'une civilisation ne peut sans aucun doute dépendre du suffrage, représentant uniquement le nombre . Est-il nécessaire pour autant s'élever contre le suffrage universel ? Non, nous recommande Gustave Le Bon . D'abord, parce que malgré ses inconvénients incontestables, il est élevé à la hauteur d'un dogme (d'un article de foi, qui exprime un fait d'une manière péremptoire, indiscutable) . on ne discute pas plus avec les croyances des foules qu'avec les manifestations d'un volcan en pleine activité .

Le dogme du suffrage universel possède de nos jours le pouvoir, l'ascendant, l'influence qu'eurent jadis les dogmes chrétiens et que d'autres religions ont encore de nos jours . Il faut impérativement se conduire en ce qui les concerne de la même manière que nous devrions le faire vis-à-vis de tous les dogmes religieux .

L'usure du temps seul peut agir sur eux .

Ensuite, parce qu' il s'agit d'une institution par excellence qui répond aux "temps d'égalité " . En effet, lorsque la société est hiérarchisée, on donne sa confiance à ceux que l'on ressent comme étant dominants, une certaine élite . Dans les temps d'égalité, seul le nombre, l'adhésion du nombre à une opinion, peut seule rassurer certains individus isolés, séparés d'un milieu humain qui lui dictait la conduite à suivre et les idées auxquelles ils pouvaient adhérer : seule la consécration par le nombre [comme le comportement des moutons de Panurge ; se dit des gens qui s'imitent niaisement les uns les autres; lire Rabelais qui décrit une vengeance ...] peut prouver sinon le bien-fondé (avoir de bonnes raisons pour ...) d'une idée, du moins son caractère adapté à une situation, une circonstance donnée, un peuple bien défini, une époque précise .

Le docteur Gustave Le Bon avait cité la phrase de Tocqueville :

" Dans les temps d'égalité, les hommes n'ont aucune foi les uns dans les autres à cause de leur similitude ( leurs ressemblances) ; mais cette même similitude leur donne une confiance presque illimitée dans le jugement du public ; car il ne leur paraît pas vraisemblable qu'ayant tous des lumières pareilles (équivalentes) la vérité ne se rencontre pas du côté du plus grand nombre " .

S'il ne faut pas supprimer le suffrage universel en l'état actuel des choses, est-il nécessaire, impératif de l'aménager, le transformer, le restreindre ?

Non, précise le Docteur Gustave Le Bon .

En effet, une des grandes lois de la psychologie collective est que " en foule les hommes s'égalisent toujours et, sur des questions générales, le suffrage d'une petite cinquantaine d'académiciens n'est pas meilleurs que celui d'un nombre équivalent de balayeurs des trottoirs d'une ville, même si il s'agit de la capitale, de Paris ...!

Le fait pour un individu de savoir le latin ou la physique, d'être nutritionniste, vétérinaire, médecin ou un juge d'instruction ne le dote pas, sur les questions de sentiment, de clartés particulières "

En effet, disons-le à nouveau, ce n'est pas la logique rationnelle qui gouverne les foules, mais les argumentations, les logiques affectives ou mystiques .

" Devant les problèmes sociaux, pleins de multiples inconnues et dominés par la logique mystique ou la logique affective, toutes les ignorances s'égalisent . Si, ainsi, des gens bourrés de science composaient à eux seuls le corps électoral, nous n'aurions aucune des difficultés actuelles en moins et sûrement, en plus la lourde tyrannie des castes " .

Nous pouvons sur la fin de ce texte relatif au suffrage universel, terminer sur une idée très appréciée de Gustave Le Bon lui-même :

" Restreint ou général, sévissant dans un pays républicain ou dans un pays monarchique, pratiqué en France, aux Pays- Bas, en Grèce, en Espagne ou au Portugal, le suffrage des foules est partout semblable et traduit souvent les aspirations et les besoins inconscient de la race ( l'ethnie) .

Cordialement, bien à vous, Gerboise .




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