samedi 17 avril 2010

Monde de la Science et le domaine sentimental :les interactions,les retentissements;effets indirects ou effets en retour. Conséquences tendancieuses*.

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*tendancieuses : de tendance, ce qui porte à être, à agir, à se comporter de telle ou telle façon ; orientation commune à une catégorie de personnes ; évolution de quelque chose ou de quelqu'un , dans un même sens .

PHILOSOPHIE DU RIRE ET DES PLEURS

Livre de Alfred STERN, Docteur en philosophie, professeur, membre du corps enseignant de California Institute of Technology, Passadena et de The University of Southern California, Los Angeles , publié aux Presses Universitaires de France[P.U.F.] ,1949 .

Voici la première partie de son introduction qui s'intitule : L'univers de la science et le globe sentimental .

Cette partie vous permettra de comprendre tout l'intérêt de la lecture de cet ouvrage fondamental pour la compréhension des rapports entre les choses matérielles et les sentiments humains de ce monde dans lequel nous venons faire, durant notre vie sur terre, un très court , mais fabuleux séjour .

Nous avons décidé de vous faire connaître ce texte car Alfred STERN, son auteur, a su nous faire saisir les différences profondes et les complémentarités entre deux mondes, celui de l'étude de la matière inerte et celui dans lequel se sont développés nos sentiments, nos rires, nos pleurs, toute notre âme . En réalisant cela, il va nous permettre de comprendre ce qu'est, ce que doit être [ impérativement ] l'activité scientifique, ce que les scientifiques doivent faire et surtout ne pas faire .

Dans notre quête de la recherche des valeurs nécessaires pour apprendre à développer notre esprit critique et de ne pas subir les informations erronées , parfois manipulées, qui nous arrivent de toute part , cette comparaison permanente [de ce qu'est la science, de ce que doit être ce spécialiste de la matière et du rationnel, mais aussi de ce qu'est cet être plein de passions, inexorablement recouvert de son manteau sentimental , qui du fait de lui , trop souvent un être manipulable et
parfois manipulateur ] est nécessaire . Elle vous aidera à mieux saisir toutes les subtilités nécessaires pour comprendre les qualités, mais aussi les bassesses présentes chez certains individus,et même dans un certain nombre de communautés et associations humaines .

Voici le texte d'Alfred STERN

"" N'est-ce pas un anachronisme d'écrire des livres philosophiques à l'âge atomique ?

Est-ce sensé d'inventer de subtiles théories philosophiques sur le rire et les pleurs, à une époque où une seule bombe atomique peut, en moins d'une seconde, effacer le rire de cent mille visages humains, en faisant disparaître ces cent mille visages, avec les corps qui les portent ? Ne vaudrait-il pas mieux n'écrire qu'une philosophie des pleurs alors qu'il n'est pas certain qu'une guerre atomique, une fois déclenchée, laisse intacts assez d'yeux pour pleurer ceux qui disparaîtraient dans la poussière cosmique ?

(Il est nécessaire d'être conscient que ces questions sensibles, douloureuses, furent posées par l'auteur de ce livre en 1949, à peine quatre années après le double cataclysme, celui de Hiroshima et celui de Nagasaki trois jours après :le 9 Aout 1945 . Les esprits , à l'époque étaient encore imprégnés profondément par ces événements émouvants ).

Quand on pose le problème plus général de la justification de la philosophie à l'âge atomique, on tient compte du fait curieux que la deuxième guerre mondiale semble avoir déplacé l'équilibre entre la philosophie et la science .

En tant que guerre idéologique, elle a été une guerre éminemment philosophique . A vrai dire, elle a été une guerre entre deux philosophies morales opposées .

Mais au lieu d'aboutir à une victoire nette de l'une de ces deux philosophies de la vie, la deuxième guerre mondiale a vu surgir, au dernier moment, un autre vainqueur d'une puissance terrifiante : la science, la science atomique, la physique et la chimie nucléaires, accompagnées d'une nouvelle technique atomique, véritablement grandiose dans sa sombre majesté .

Et soudain nous voyons cette nouvelle science s'ériger en idéologie, qui se substitue aux anciennes idéologies philosophies, voulant imposer sa loi à la vie des peuples .
Et ceci non pas par la volonté des créateurs de cette nouvelle science, qui eux, au contraire, sont devenus extrêmement modestes et consciencieux sous le poids de leur responsabilité séculaire, mais par la seule existence des instruments et des méthodes crées par cette science .

En entreprenant d'écrire une nouvelle philosophie à une pareille époque chiliastique (qui a rapport au chiliasme : doctrine de ceux qui pensaient, qu'après le jugement universel, les prédestinées demeureraient mille ans sur la terre et y jouiraient de toutes sortes de plaisirs) , il faut d'abord se demander si l'équilibre entre la philosophie et la science a réellement été bouleversé au préjudice de la première .

Certes, le progrès scientifique a été vertigineux, au cours de ces années
dernières . Du Ve siècle avant notre ère jusqu'à la fin du XIXe, notre connaissance de la structure intime du monde matériel se borna aux seuls atomes, auxquels s'ajoutèrent les groupes d'atomes, appelés molécules . Et soudain, après quelques dizaines d'années, on nous montre que l'atome n'est pas, l'indivisible tel que ses pères intellectuels Leucippe et Démocrite se le représentaient, qu'il est décomposable en un grand nombre de particules élémentaires, appelées électrons, protons, neutrons, positrons, mesotrons . En même temps, la physique moderne surmonte la rigidité classique des principes de conservation de la masse et de l'énergie, nous indiquant la formule miraculeuse qui les traduit l'une dans l'autre l'autre, et inventant les moyens techniques ingénieux de réaliser cette traduction, c'est-à- dire de libérer l'énergie atomique .

Ces grandioses conquêtes de l'esprit scientifique donneront, sans doute, un nouvel essor au " scientisme " , à ce culte quasi religieux de la science, que nous avons déjà vu surgir une autre fois, au cours du XIXe siècle, avec la tendance de substituer la science à la philosophie .

Tantum possumus, quantum scimus, a dit Francis Bacon, l'homme qui vit, dans la puissance de nos réalisations, la mesure de notre savoir . Puisque c'est le savoir scientifique et non le savoir philosophique, qui nous permet les réalisations gigantesques de l'âge atomique, n'est-ce pas un anachronisme (caractère de ce qui est anachronique, déplacé de son époque ; qui est d'un autre âge) de faire la chasse aux fantômes conceptuels de la philosophie ?

Telle est la question que nous posent déjà les apôtres (les prédicateurs) du nouveau scientisme absolu .

Cependant, on peut les réfuter par un seul argument, qui, à la fois, met en relief la raison d'être de la philosophie, en général, et l'entreprise plus spéciale de la philosophie du rire et des pleurs .

A savoir l'argument que le monde de la science est un monde où nous vivons, souffrons et nous réjouissons, est un monde où l'on pleure et où l'on rit, et seule la philosophie peut en tenir compte .

Tout ceci ne va pas de soi et exige quelques explications . Celles-ci résident dans la différence fondamentale qui existe entre science et philosophie .

Ce qui fait le caractère distinct de toute philosophie, c'est qu'elle considère le rapport entre la pensée déterminante et les objets déterminés, tandis que les sciences se bornent à examiner les rapports mutuels des objets déterminés .

Autrement dit : toutes les sciences examinent les rapports mutuels des objets, rapports appelés " lois physiques " , " lois naturelles " , etc., mais ce faisant les sciences font méthodiquement abstraction des rapports de ces objets avec le sujet, qui est à la fois sujet connaissant et sujet appréciant .

Mais puisque le sujet connaissant est lié à un sujet appréciant et que c'est l'appréciation qui fait la valeur, le monde de la science, construit en vertu d'une élimination méthodique de tous les rapports des objets avec le sujet, est un monde exempt de valeurs .

Et un monde exempt de valeurs est un monde où l'on ne rit pas et ne pleure pas, tout rire et tous pleurs exprimant des appréciations .

( et donc, comme le pense Gerboise, un monde dans lequel on ne croit pas, il ne semble pas, il n'apparaît pas, où les choses n'ont pas l'air ,mais sont ou ne sont pas . C'est là que réside tous les problèmes actuels dans les discours et les incompréhensions des discussions sur les origines anthropiques [c'est-à-dire humaines] ou autres [ différences portant sur la nature, étrangère à l'humanité] , du " réchauffement climatique en particulier! ) .

La philosophie étant appelée à considérer les rapports entre la pensée déterminante et les objets déterminés - ou bien, dit de façon moins abstraite, les rapports de tout objet avec le sujet connaissant et appréciant - cette philosophie est seule qualifiée à comprendre et à interpréter le monde où l'on rit et où l'on pleure, le monde où nous vivons, le monde des émotions et des valeurs .

Notre distinction entre science et philosophie explique donc le fait que nous nous trouvons en face de deux univers différents :

- L'univers de la science,

qui se compose d'atomes dépouillés de qualités subjectives, d'électrons, de protons, de neutrons, d'ondes, de champs électromagnétiques et de vecteurs, un univers considéré comme purement objectif, ne contenant que la description des rapports mutuels des objets, après l'élimination méthodique des rapports de ces objets avec le sujet connaissant et appréciant .

De par sa genèse gnoséologique ( à partir des fondements de la connaissance absolue) cet univers de la science sera donc indépendant du sujet connaissant c'est-à-dire de caractère réaliste - et exempt de valeurs et de hiérarchies, celles-ci présupposant un sujet appréciant, qui, dans la constitution de l'univers scientifique, a été éliminé méthodiquement . Cet univers de la science est donc celui qui, selon Spinoza ( philosophe hollandais, 1632-1677 ) , ne connaît " ni bien ni mal " .

De l'autre côté nous avons

- L'univers de la philosophie .

Vu qu'à la différence de la science, la philosophie ne se borne pas à considérer les rapports mutuels des objets connaissables, mais considère leurs rapports avec le sujet connaissant et appréciant, son univers ne sera pas fait de fictifs objets " purs " , sans qualités subjectives, comme les atomes . Embrassant les objets et le sujet, dans tous leurs rapports mutuels, la philosophie se trouvera devant un univers constitué de choses aux qualités subjectives .

Son monde sera fait non pas d'ondes sonores, mais de sons, non pas de mouvements moléculaires, mais de qualités : chaud, froid, doux, amer, sucré, acide, astringent ...

Dû à la considération des rapports des objets connaissables avec le sujet connaissant, l'univers de la philosophie sera donc, de par sa nature, d'orientation idéaliste, et vu que le sujet connaissant est lié au sujet appréciant, l'univers philosophique sera d'orientation axiologique, c'est-à-dire qu'il sera un univers dans lequel chaque objet sera support d'une valeur . Ce sera un monde caractérisé par une inégalité de rang parmi les objets, un monde de hiérarchies, à la différence de l'univers de la science, qui en est exempt et où il n'existe pas d'objet privilégié .

Si cet univers du philosophe est si proche de celui de la vie courante, c'est que la vie - comme la philosophie - ne fait pas abstraction des rapports des objets au sujet connaissant et appréciant . Avec la différence cependant que dans le cas de la philosophie il s'agit d'une attitude méthodique et dans celui de la vie d'une habitude .

Étant donné qu'à la différence de l'univers de la science , l'univers de la philosophie fait face à un sujet appréciant - et appréciant en vertu de sentiments de valeurs - nous voulons désigner cet univers du philosophe par le nom de " globe (sphère ,étendue de pouvoir, d'influences, de connaissances, de talent considérée par rapport à celui qui les possède )sentimental " .

Le globe sentimental est le monde de nos évaluations . Puisque le rire et les pleurs sont nos évaluations marginales, ils forment les deux pôles de notre globe sentimental .

On ne saurait, en effet, mieux caractériser notre globe sentimental que par l'affirmation qu'il représente le monde où l'on rit et où l'on pleure, tandis que l'univers de la science, ayant éliminé le sujet, est exempt de ces émotions évaluatrices .

Lequel des deux univers est [et doit être] le " véritable " : celui de la philosophie et de la vie ou celui de la science ?
A notre époque on tend nettement à attribuer une réalité supérieure à l'univers de la science, où nos représentations sont réduites à leur squelette mathématique . Henri Bergson se moqua de cette tendance, en écrivant :

" Hypnotisés, pour ainsi dire, par le vide que notre abstraction vient de faire, nous acceptons la suggestion de je ne sais quelle merveilleuse signification inhérente à un simple déplacement de points matériels dans l'espace, c'est-à-dire à une perception diminuée, alors que nous n'aurions jamais songé à doter d'une telle vertu l'image concrète, plus riche cependant, que nous trouvons dans notre perception immédiate " [ Henri Bergson, L'énergie spirituelle, chap. VII, P. 221 ] .

Néanmoins, il ne s'agit pas là d'un simple caprice . La réalité supérieure qu'on a tendance à attribuer à l'univers de la science nous semble un résultat du fait qu'il nous permet de maîtriser la réalité avec beaucoup plus de succès et d'obtenir plus de conquêtes sur la nature . C'est pourquoi on le croit plus proche de celle-ci .

Si donc on considère l'univers de la science comme le " véritable " , c'est, en général, pour des raisons d'ordre pragmatique .

Tout cela ne doit cependant pas nous faire oublier que l'univers de la philosophie est plus riche que celui de la science, puisque la description philosophique ne comprend pas seulement les rapports mutuels des objets, mais aussi leur rapports avec le sujet, rapport méthodiquement négligé par la description scientifique .

Cependant, toute cette rivalité entre les univers de la science et de la philosophie nous paraît bien stérile .

Au fond la différence entre science et philosophie, telles que nous les avions définies, se ramène à une différence d'ordre méthodologique, la science étant la méthode de considérer entre eux les rapports mutuels des objets déterminés, en faisant abstraction de leur rapport avec la pensée déterminante et appréciante, la philosophie étant la méthode qui considère les objets déterminés dans leur rapport avec la pensée déterminante et appréciante . Ainsi la différence entre les deux univers, résultant de ces deux méthodes, est essentiellement d'ordre méthodologique, et il paraît oiseux de discuter pour savoir lequel des deux est l'univers " véritable " . Issus de besoins intellectuels différents, ils sont appelés à remplir des fonctions
différentes, et il faut renoncer à vouloir tirer de l'univers de la science des réponses qu'il ne saurait donner, puisque les présuppositions de celles-ci ont été auparavant éliminées .

Même pour admirer la science il faut se placer en dehors d'elle, puisque l'univers de la science étant dû à l'élimination des rapports des objets au sujet appréciant ne connaît pas de valeurs,pas de différences de valeurs, pas de hiérarchies, pas d'émotions, pas d'admiration .

Démocrite lui-même, père de l'atomisme, n'aurait pu devenir le " philosophe qui rit " s'il était resté confiné dans son univers scientifique où tout ce qui se passe est ramené à des réunions et à des séparations d'atomes, car un mouvement atomique n'est ni meilleur ni pire, ni plus gai ni plus triste que l'autre .

Les immenses succès que notre époque vient de remporter par ses opérations exécutées sur le globe (l'ensemble de l'environnement, du milieu) abstrait de la science, ne doivent cependant pas nous faire oublier le rôle non moins immense du globe sentimental de la vie et de la philosophie, dans l'ensemble de l'existence . Sous un certain angle on pourrait affirmer que le globe abstrait présuppose le globe sentimental .

Car les théories scientifiques et les découvertes de la science doivent leur création au sentiment de valeur qui se rattache à l'idée de vérité
.

Il en est de même de tout autre domaine de l'existence : le grand homme d'État ne serait qu'un monsieur quelconque sans le sentiment de confiance qu'il inspire aux foules, et l'œuvre d'art ne serait que le produit d'une simple technique sans le sentiment de beauté qu'elle fait naître et dont elle est le produit . Les batailles les plus glorieuses de l'histoire ne seraient que de vils massacres sans le sentiment d'enthousiasme patriotique qui anime les lutteurs et la patrie ne serait qu'un territoire géographique, une région habitable sans le sentiment d'amour qui se rattache à son sol, à son histoire, à sa population ( ceci demande réflexion dans la conjoncture actuelle en l'année 2010, dans laquelle " on " veut, on [ certains personnages ] envisage de faire disparaître, d'annihiler, la notion de "Nation ", voire même de peuple français).

Finalement, la construction de la bombe atomique, suprême triomphe du globe (du monde, du microcosme , du domaine ) scientifique, aurait été à l'œuvre d'une gigantesque autodestruction de l'humanité, sans grandeur véritable, voire un crime, si elle n'avait pas été entreprise au service d'un idéal, de l'idéal de la libération de l'humanité de l'esclavage fasciste et guerrier . Mais cet idéal, les hommes de science ne purent le trouver sur leur globe (domaine, leur champ d'étude, le ressort : domaine où s'étend la compétence ou le pouvoir de quelqu'un ) abstrait d'atomes et de neutrons ; ils durent l'importer du globe (domaine, champ qu'embrasse tout ce qui se rapporte à un art, une science, à une faculté de l'intelligence ) sentimental, où habitent toutes les émotions et les valeurs guidant l'humanité, toutes les peines et toutes les joies, toutes les larmes et tous les sourires .

C'est ce globe (ce champ, cette acception [cet acte de recevoir, de donner ] affective) sentimental que nous voulons explorer, et il nous paraît digne d'un tel effort .

Nous l'étudierons notamment sous l'angle de ses manifestations les plus énigmatiques que sont le rire et les pleurs . " "

Cordialement, bien à vous, Gerboise .


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