mardi 15 février 2011

Lueurs* de l'aube à approfondir : Réflexion de Jean Fourastié sur l'Être humain dans son livre, Faillite de l'Université, 1972, éditions Gallimard **

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* Lueurs : illuminations soudaines de l'Esprit, passagères, qui donnent l'idée d'une " sorte d'apparence " qui peut conduire à la révélation d'une chose inconnue jusqu'alors ; expressions vives ,imprévues et subites pour la Réflexion . Avoir des lueurs, quelques lueurs sur quelque chose : lumière, apporter ses lueurs, ses connaissances, sur un sujet, c'est ce dont il est question dans cette rubrique .

** Jean Fourastié, 1907-1990 : après des études d'ingénieur et d'économiste et une douzaine d'années au ministère des finances, Jean Fourastié a été appelé en 1945 au Commissariat général au plan que venait de fonder M. Jean Monnet . Il y présida les commissions de la main-d'oeuvre de quatre plans successifs . Depuis 1967, il borne de son activité à l'enseignement et à la recherche . Il a été professeur au Conservatoire National des Arts et Métiers et à l'Institut d'études politiques de Paris et éditorialiste au Figaro .

" Il est vain de persuader un homme d'une réalité, même expérimentalement démontrée, qu'il ressent comme contraire à sa conception du monde ." [ Idées majeures . Pour un humanisme de la société scientifique, Paris, éditions Gonthier, 1966] .

" La difficulté que nous avons à enrichir notre connaissance d'un sujet déjà connu en partie, est plus grande que la difficulté à acquérir d'emblée la connaissance d'un sujet antérieur ignoré " [ Comment fonctionne notre cerveau, Paris , éditions Robert Laffont, 1974] ( d'où la nécessité de ne pas déflorer superficiellement, ce dont nous ne sommes pas capables, pour une raison ou pour une autre, d'expliquer minutieusement tous les aspects dans des contextes les plus variés possibles).



""Une espèce animale qui pense, qui se pense et qui pense le monde, et qui ne comprend plus, qui ne sait plus trouver de réponse qui la satisfasse aux questions qu'elle se pose sur les causes, les buts et le sens de la vie, et qui pourtant est maîtresse de ses instincts et devient responsable d'elle-même, de son avenir et de la planète où elle née... : telle est l'espèce humaine .

Un être qui doit prendre sans cesse des décisions individuelles et collectives de plus en plus conscientes, de plus en plus réfléchies, de plus en plus efficaces, et qui sait de moins en moins quels buts ultimes, quelles fins dernières ( ce qui est cherché pour lui-même, et non comme un moyen d'atteindre une fin ultérieure, ce qu'il y a au terme de la vie) leur assigner… tel est l'homme d'aujourd'hui .

Bien entendu je ne suis pas en mesure de répondre à ces questions, je ne suis pas en mesure de proposer à l'homme une nouvelle conception du monde . Il est évidemment bien loin de ma pensée que les valeurs traditionnelles effondrées puissent être réhabilitées .

Elles ne sont pas compatibles avec l'esprit scientifique expérimental .

Or le problème est justement qu'il faut à l'homme un système cohérent d'explication du monde et de la vie .

Ce système doit être en accord avec ce que la science expérimentale, notre seule source d'informations sûres, nous a appris et nous apprendra . C'est en ce sens que j'ai écrit dans un autre livre qu'il nous faut une " religion " ( observation scrupuleuse d'un principe : se faire une religion d'une chose )… acceptable pour les « Prix Nobel » [ Lettre ouverte à 4 milliards d'hommes, Albin-Michel, Paris, 1970] .
Mais cette " religion " acceptable pour les « Prix Nobel », elle doit être à l'usage de l'homme moyen . C'est à tous qu'elle doit porter le courage et le réconfort . C'est à chacun qu'elle doit permettre de dominer ses instincts et ses passions, sans les dérégler ni les tuer .

Il ne peut donc être question de restaurer en bloc les valeurs traditionnelles ; mais il faut se préoccuper du vide que laisse leur effondrement ; il faut si possible les remplacer, les pallier (résoudre de façon provisoire une difficulté pratique) , les renouveler . Il faudra sans doute bien des années pour cela ; peut-être des siècles . Mais il n'est que plus certain que la crise née de leur absence sera grave pour l'espèce et douloureuse pour les individus .

Mon seul objectif ici ne peut être que d'envisager comment l'Université peut se comporter dans cette crise, comment elle put tenter d'en réduire la durée et la gravité . Comment elle peut aider ses étudiants à[la] vivre…

... La mentalité traditionnelle, que nous savons aujourd'hui infantile et erronée, a cependant permis à l'humanité de persister et même de progresser quoique fort lentement pendant des centaines de milliers d'années . L'intelligence épurait certes mal, mais ne troublait pas les réflexes de l'instinct . L'effondrement de la mentalité traditionnelle, sans qu'aucune conception du monde et de la vie la remplace, laisse le cortex désemparé, doutant de lui-même . L'indécision, l'instabilité, l'inquiétude, l'angoisse maux classiques des intellectuels, se répandent chez l'homme moyen .

Comment une pensée claire désorientée pourrait-elle faire mieux que l'instinct ?

Je n'hésite pas à écrire que les sources mêmes de la vitalité peuvent être menacées . Les valeurs qui font progresser l'humanité ne sont pas les mêmes que celles qui la font durer . L'Université, qui a oublié les secondes pendant deux siècles, doit aujourd'hui leur porter toute son attention . ""

Gerboise vous laisse réfléchir sur ce texte, très riche en concepts essentiels, de Jean Fourastié . Je serais heureux si je pouvais lire des commentaires de vous tous, lecteurs, à la fin de ce billet .

A bientôt, bien à vous, Gerboise